Le souffleur de braises
Passionné à l'excès par la littérature populaire policière fasciculaire de la première moitié du siècle dernier, j'ai l'habitude d'apprécier la plume d'auteurs que personne ne connaît ou presque.
Si je suis parfois étonné de l'anonymat (actuel ou permanent) de certains écrivains, certains cas me choquent au plus haut point.
Ainsi, tenez ! Comment est-il possible qu'à présent, la plume d'Albert Boissière ne soit pas reconnue à la hauteur de celle d'un Maurice Leblanc, qu'elle surclasse à tout point de vue ?
Mystère !
Mais, quand ce phénomène touche des écrivains contemporains, pire, des écrivains encore en activité, alors... j'en reste bouche bée.
Parmi ces derniers, je citerai volontiers Jean-Baptiste Ferrero dont je dévore chacun des romans mettant en scène son détective récurrent et alter ego Thomas Fiera.
Mais un autre nom me vient rapidement à l'esprit, d'autant plus aujourd'hui alors que je viens de dévorer l'un de ses romans : Jean-Pierre Ribat.
Jean-Pierre Ribat, né en 1961 à Toulouse, est avant tout un médecin généraliste devenu médecin urgentiste à Mantes-La-Jolie. Également médecin urgentiste, il a été témoin des pires drames dont les résultats du tremblement de terre en Haïti.
Probablement fut-ce pour lui une bonne thérapie que de coucher ses ressentis sur le papier et quoi de mieux, pour cela, de créer le personnage d'un médecin urgentiste à Mantes-La-Jolie, Marcel Fortesse, à qui il va arriver tout un tas d'aventures qui vont à chaque fois tirer vers le genre policier.
Marcel Fortesse, n'en doutons pas, est l'alter ego de l'auteur, celui-ci se projetant indéniablement dans son personnage, ce que font tous les auteurs, mais là l'identification est évidente et maximale.
Mais les romans de Jean-Pierre Ribat ne sont pas que des romans policiers, chaque aventure étant prétexte, à l'auteur, d'évoquer ses patients, la mort, les naissances, l'amour, le tout avec humour... parfois celui du désespoir. Car il vaut toujours mieux rire que pleurer, rire de quelque chose avant d'avoir à en pleurer, Jean-Pierre Ribat use de l'humour comme une arme de défense contre la vie, contre la mort.
Les romans de Jean-Pierre Ribat (du moins les 6 lus jusqu'à présent... il me manque encore le dernier) sont emplis d'humanité, de douceur, de tolérance, d'humour, d'amour, d'espoir... bref, de tout ce qui fait un bon médecin.
Et bon médecin, je ne doute pas que Jean-Pierre Ribat en soit un.
Mais bon écrivain, de cela, j'en suis certain ! la preuve, je viens de dévorer son sixième roman : « Le souffleur de braises ».
C'est bien simple, les romans de Jean-Pierre Ribat ne souffrent que de trois gros problèmes :
1) Ils ne sont pas assez nombreux.
2) Ils sont desservis par une couverture assez moche créée par son éditeur, les éditions Thot.
3) Les derniers romans n'existent pas en numérique et je suis donc obligé de passer par la version papier, que j'imprime ensuite, que j'OCRise, pour enfin pouvoir m'en délecter, dans mon lit, sur ma liseuse... ce qui fait beaucoup de travail pour lire un livre, c'est dire si j'aime les romans de Jean-Pierre Ribat...
« Le souffleur de braises » est donc la sixième aventure du médecin Marcel Fortesse. Le roman de 216 pages est paru en 2021.
Et je vais vous en dire quelques mots.
Le souffleur de braises :
Alors que la police de Mantes-la-Jolie devient miraculeusement la spécialiste hors catégorie des interpellations en flagrant délit, le docteur (et futur grand-père) Marcel Fortesse est appelé pour constater le décès d’un général à la retraite. Une chose en entraînant une autre, Marcel (d’un naturel curieux) met la main sur une correspondance entre un soldat et sa bien-aimée pendant la guerre d’Algérie. Sous les mots d’amour se cachent les souvenirs d’un passé violent. Un rappel de l’Histoire qui risque de provoquer pas mal de remous.
Autour de Marcel, comme souvent, s’agite une faune insolite : un avocat dépressif employé comme caissier de supermarché, un informaticien habillé en dragqueen, une vieille Manouche aux portes du trépas et Lila, sa chérie, sa walkyrie armée d’une fourche.
Marcel Fortesse est appelé pour constater le décès d'un ancien militaire ayant sévi durant la guerre d'Algérie, poussant ses hommes à torturer l'ennemi.
Marcel ne va pas tarder à faire connaissance avec le fils de la victime, un membre de la DGSI qui pourrait bien être une pire ordure que son père.
La curiosité aidant, Marcel tombe sur la correspondance de la victime, jetant la lumière sur des années d'horreur, mais également sur la naissance d'un enfant qu'il a eu avec une jeune Algérienne...
En partant à la recherche de l'enfant illégitime, Marcel Fortesse va se lancer dans une aventure qui mettra la vie des siens en péril...
Comme déjà dit, un roman de Jean-Pierre Ribat n'est pas qu'un roman policier. S'il y a toujours des actes criminels que Marcel Fortesse tentera de réparer, l'auteur enveloppe toujours ses histoires d'un voile de conte.
Des personnages totalement ubuesques, des situations extraordinaires, des actes parfois fantastiques... l'auteur ne cherche jamais la crudité de la réalité, préférant vivre dans un monde un peu parallèle où les méchants demeurent, certes, très très méchants, mais où les gentils revêtent une tenue d'innocence, de bienveillance, de tolérance et ce quelle que soient leurs origines, leurs âges, leurs conditions de vie.
Des salauds, certes, il y en a, mais des anges également, les actes de ceux-ci contrebalançant largement les conséquences de ceux des autres.
Bref, lire un roman de Jean-Pierre Ribat, c'est entrer dans un monde ressemblant au nôtre, à celui de l'auteur, un monde où les horreurs existent toujours, mais où la bonté et plus évidente, plus voyante, plus démonstrative, plus présente.
Arrêtons là ce panégyrique un peu générique pour entrer un peu plus dans ce roman.
Le sujet central de celui-ci est bien évidemment les atrocités qui ont été commises en Algérie (et celles qui s'y déroulent encore).
Si l'intrigue tourne autour de l'Histoire, celle-ci ne prend jamais le pas sur l'univers Ribatien... Fortessien...
On est avant tout dans un roman de Jean-Pierre Ribat, dans une aventure de Marcel Fortesse.
En parallèle, Marcel Fortesse évoque la toute prochaine naissance de son petit-fils Malo, qui doit arriver dans les prochains jours.
J'ai constaté une évolution dans la plume de Jean-Pierre Ribat au cours des aventures de Marcel Fortesse.
En effet, comment ne pas remarqué que, dans les trois derniers romans, l'auteur s'essaie à des principes de narrations qu'il n'utilisait pas (ou je n'en ai pas souvenir) dans les premiers.
C'est avant tout deux principes narratifs que l'auteur emploie :
- La narration alternée (passé-présent ; intrigues parallèles)
- La narration épistolaire (lettres, articles de journaux...)
Parfois, Jean-Pierre Ribat mélange les deux et, si vous me connaissiez mieux, vous sauriez que ce sont des procédés narratifs que je goûte peu.
Heureusement, tout cela est compensé par la bienveillance, l'humour, la plume de l'auteur...
« Le souffleur de braises » ne fait pas exception à la règle des deux précédents ouvrages puisque l'auteur nous propose des articles de journaux, des lettres datant de la guerre d'Algérie, de lettres que Marcel Fortesse écrit à son petit-fils Malo alors que celui-ci n'est pas encore né...
Mais, pourtant, ici, le procédé m'a moins gêné que de coutume, probablement trop pris que j'étais dans l'histoire.
Car l'histoire, comme toujours chez Ribat, est emplie d'humanisme, d'humour, de tolérance, de bienveillance, d'espoir...
Quand on côtoie Marcel Fortesse, on a envie de faire sa connaissance et, par extension, de faire celle de l'auteur qui doit être ce que l'on appelle " un bon gars ".
Plus encore, on a envie de savoir à quel point Jean-Pierre se projette dans Marcel.
Le décès de sa mère dans les premiers romans entre-t-il en résonnance avec celui de la mère de l'auteur ?
La naissance de Malo dans le dernier roman est-il inspiré par celle d'un réel petit-fils ?
Nul doute qu'il y a beaucoup d'autobiographie dans les romans de Jean-Pierre Ribat, tant dans la vie de son personnage que dans les histoires de ses patients... d'ailleurs, il me semble que certains patients du docteur Ribat se reconnaissent dans ceux du docteur Fortesse.
Bref, lire un roman de Jean-Pierre Ribat est une expérience unique, car le personnage est unique, mais également l'ambiance, la plume, l'humour.
Ainsi, difficile d'expliquer ce qu'est un roman de Jean-Pierre Ribat, il faut en lire un pour le savoir... et si on en lit un, on lira forcément les autres... et ce, bien qu'ils souffrent de trois problèmes principaux à savoir qu'ils sont trop peu nombreux, qu'ils sont vêtus d'une couverture qui ne les met pas en valeur et qu'ils n'existent pas en numérique.
Au final, « Le souffleur de braises » renaît avec les qualités des premiers romans de l'auteur tout en usant de certains procédés des deux précédents sans que cela ne nuise à la lecture, bien au contraire. En clair, un excellent roman, un auteur bien moins connu qu'il ne le mérite.