Deuils de miel
"Deuils de miel" est le premier roman de Franck Thilliez que je lis. Si j'avais été logique et, surtout, si j'avais été au courant avant d'entamer ma lecture, j'aurais du débuter ma découverte de l'auteur par le roman "Train d'enfer pour ange rouge", paru deux ans auparavant et mettant en place le même héros, le commissaire Sharko.
Deuils de miel :
Après le décès accidentel de sa femme et de sa fille, le commissaire Sharko est un homme brisé, insomnies, remords, chagrin... Difficile dans ces conditions de reprendre du service. Mais une macabre découverte va brutalement le ramener à la réalité : une femme est retrouvée morte, agenouillée, nue, entièrement rasée dans une église. Sans blessures apparentes, ses organes ont comme implosés de l'intérieur. Amateur d'énigmes, le tueur est aussi un orfèvre de la souffrance. Et certainement pas prêt à s'arrêter là.
Pour Sharko, déjà détruit par sa vie personnelle, cette enquête ne ressemblera à aucune autre, car elle va l'entraîner au plus profond de l'âme humaine : celle du tueur... et la sienne.
Ce roman de Franck Thilliez engrange, point par point, tout ce que je dénonce dans le roman policier actuel qui est enfermé dans le carcan du thriller à l'américaine (voir mon article). Le lecteur a donc le droit à une enquête tarabiscotée contée à la première personne du passé simple, menée par un flic cassé par la vie, au bout du rouleau, dépressif et limite suicidaire, qui sera chargé d'arrêter un tueur sadique. Le tout se terminant par un rebondissement pas très crédible.
Pour autant, ne boudons pas notre plaisir, ces ingrédients ne sont pas forcément rébarbatifs, juste, j'aimerais un peu plus d'originalité dans le style et dans le fond.
Malgré tout ça, Franck Thilliez sait tenir le lecteur en haleine (du moins dans les deux premiers tiers de l'histoire) et maîtrise totalement son sujet.
Avec un départ canon et un premier meurtre à la fois énigmatique et original, le lecteur laissera l'auteur le mener par le bout du nez. Si le personnage de Sharko entre dans les clichés du flic dépressif, il n'en demeure pas moins bien développé et l'on souffre avec lui quand sa tête éclate des voix de sa femme et de sa fille disparues. De plus, l'enquête ne lui laisse aucun répit et le tueur semble bien s'amuser avec lui en proposant des énigmes complexes.
Rarement un policier aura été confronté à un tueur aussi pervers, sadique et calculateur. Ce dernier va user de violence et d'insectes pour mener à bien ses divers meurtres, tous plus horribles les uns que les autres et, en cours d'enquête, difficile de ne pas penser aux meurtres de "Le serment des limbes" de Jean-Christope Grangé, sorti après le roman de Thilliez (comme quoi les grands esprits se rencontrent ou bien les écrivains s'inspirent les uns les autres).
Dès les premières pages, l'enquête démarre tambour battant et ne va pas faiblir jusqu'à la fin. Sharko, comme le lecteur, est alors épuisé par cette histoire et, l'un comme l'autre vont se poser des questions quant au meurtrier mais également à propos d'autres détails comme : "Mais qui est cette gamine qui s'infiltre dans l'appartement de Sharko et qui semble être en contact avec sa défunte fille ?".
Ce personnage de la gamine fugueuse devient, vers le milieu du roman, presque aussi inquiétant que le meurtrier en lui-même, mais, le lecteur perspicace comprendra assez rapidement la présence de l'enfant, et redoutera alors que l'auteur n'ait versé dans la facilité pour expliquer le meurtre et les raisons du meurtrier. Pour autant, si ce n'est heureusement pas le cas, Thilliez a quand même bien du mal à livrer un final à la fois aussi bon et aussi crédible que l'ensemble de son enquête et, comme dans bon nombre de thriller, dont ceux de Grangé, l'auteur ne parviendra pas vraiment à démêler les ficelles qu'il a tirées durant tout le livre.
Petite précision, si vous souffrez d'entomorphobie, ce livre vous est déconseillé à moins que vous ne craigniez pas de vivre des cauchemars grouillants chaque nuit.
Mais, le roman est suffisamment bien écrit pour que le lecteur soit pris dans l'histoire. Et, dans ces qualités d'écriture, outre le talent de conduire son histoire avec intensité, Thilliez démontre une force rare et intéressante (du moins pour moi qui me pose la question lors de mes propres romans), la capacité à proposer de très nombreuses métaphores sans les introduire à coups d'averbes. Cela n'a l'air de rien, mais pour qui se sera essayé à l'exercice, réussir ce tour de force d'un bout à l'autre du roman, est un exploit.
Naturellement, l'auteur aura tendance à introduire sa métaphore avec des "comme", "tel", "pareil à"... "Arriver comme un chien dans un jeu de quille", par exemple. Réussir à proposer la même métaphore sans ce mot introducteur est une réelle difficulté que Franck Thilliez relève des dizaines de fois dans son roman et, rien que pour cela, j'applaudis.
Au final, pour une première rencontre avec un auteur, ce fût une belle rencontre grâce à un début de roman de haute voltige avec un meurtre à la fois mystérieux et original et une écriture qui brille par son changement de rythme, de style et par l'excellence de ses métaphores.
Il est désormais évident que je reviendrai à Franck Thilliez, peut-être par l'intermédiaire de "Train d'enfer pour ange rouge", si j'arrive à mettre la main dessus, ou bien à travers un autre comme "L'anneau de Moebius", afin de confirmer le talent de l'auteur.