Fractures

Alice Dehaene se recueille sur la tombe de sa sœur jumelle, Dorothée, décédée dix ans auparavant. Une question la taraude : à quoi rime cette photo de Dorothée, prise il y a à peine six mois, qu’elle a récupérée des mains d’un immigré clandestin ?

Alice sait que quelque chose ne tourne pas rond dans sa tête. Son psychiatre à l’hôpital de Lille, Luc Graham, doit lui révéler le résultat d’un an de psychothérapie, lui apporter cette lumière qu’elle recherche depuis si longtemps. Mais les événements étranges qui se multiplient autour de la jeune femme vont l’en empêcher : son père, agressé chez lui à l’arme blanche, et qui prétend avoir tenté de se suicider ; ce chemisier ensanglanté qu’elle découvre dans sa douche, à propos duquel elle n’a pas le moindre souvenir ; et cet homme retrouvé nu à un abri de bus et qui semble avoir vu le diable en personne.

Grâce à l’intervention de Julie Roqueval, assistante sociale en psychiatrie, Luc Graham, d’abord dubitatif, se décide enfin à mener l’enquête.

Un aller simple vers la folie…

C'est avec une quatrième de couverture aussi alléchante qu'intriguante que débute le voyage vers la folie que nous propose Franck Thilliez pour son septième roman.

Franck Thilliez s'inspire de la vie de la vraie fausse Alice Dehaene pour développer une histoire autour de différents syndromes psychologiques. Le principal cas évoqué ici est celui de schizophrénie et des personnalités multiples. Mais, au passage, l'auteur évoque également les "LIS" (Locked-In Syndrom), le syndrome d'enfermement qui provoque chez le patient une paralysie totale (sauf, parfois, les paupières et les yeux). Franck Thilliez utilisera également d'autres pathologies que je vous laisserai découvrir pour faire avancer l'histoire et la vie de cette jeune femme, Alice Dehaene, qui souffre d'absence et d'une vie de famille compliquée.

Avec un père autoritaire qui aime vivre reclus dans une ferme isolée, une mère souffrant du fameux syndrome d'enfermement suite à une chute dans les escaliers, une soeur jumelle décédée dans un accident dix ans auparavant et une fâcheuse tendance à avoir des "trous noirs", des absences totales pendant parfois plusieurs jours, Alice n'a vraiment d'autre choix que de consulter un psychiatre, le docteur Luc Graham.

Et c'est tant mieux, car le travail du psy commence à payer au bout d'un an et il compte bien sur une séquence choc pour faire encore un grand bond en avant. Malheureusement, la séance tourne au cauchemard quand la jeune femme panique, laisse émerger une nouvelle personnalité et s'enfuit.

Dans le même temps, un homme catatonique et décharné est retrouvé par Julie Roquevale, une assistante sociale, connaissance de Luc Graham, qui va être chargé de s'occuper du patient.

Alors que Julie attend avec impatience les conclusions de Luc, elle remarque les agissements étranges de ce dernier. En parallèle, Alice est de plus en plus touchée par des "trous noirs" et compte bien sur l'aide de Fred, un jeune homme traumatisé par des violences subies en prison et qui consacre sa vie à aider des immigrants du port de Calais en attente de traversée vers l'Angleterre. D'autant plus qu'elle a confié à un de ces immigrants, lors d'une absence, une photo récente de sa soeur jumelle. Dorothée Dehaene est-elle vraiment morte ? Alice va-t-elle succomber au charme de Fred ? Julie obtiendra-t-elle les réponses sur le catatonique ? Que cache Luc Graham ? Quelle est la vraie personnalité de Claude, le père d'Alice ?

Franck Thilliez change de registre pour ce roman. Dans le fond, comme dans la forme, il laisse de côté ses enquêtes avec le commissaire Sharko et autres.

Ici, pas de réel tueur en série, quoi que, pas de flic, plus d'enquête monophonique, ni de narration au passé simple. Contrairement aux précédents livres que j'ai lus de l'auteur, ici, il choisit la narration au présent. Il abandonne également ses figures de styles comme la métaphore.

L'auteur développe son intrigue en usant (abusant ?) des points de vues, de retour dans le passé flou (c'est-à-dire qu'on ne comprend qu'après qu'il s'agit de "flash-back"), et en multipliant les pathologies.

C'est bien simple, à part Julie Roqueval, tous les personnages principaux sont traumatisés par leur passé, traumatismes responsables de leurs agissements dans le présent.

Ainsi, le roman débute par le traumatisme subi, dans sa jeunesse de reporter, par Claude Dehaene lors d'un reportage à Beyrouth où il sera témoin du massacre de Sabra et Chatila. Puis l'histoire s'intéresse à Alice, une belle et frêle jeune femme souffrant de problèmes psychiques.

Difficile de parler beaucoup plus du contenu sans révéler un peu trop de l'intrigue mais il faut savoir que, contrairement à ses enquêtes précédentes, Franck Thilliez ne fait pas démarrer son histoire sur les chapeaux de roues. Ici, il faut persévérer sur près d'un quart du roman avant de commencer à être totalement accroché. Bien que moins haletante que ses précédentes enquêtes, le lecteur est tenu en tension par les questions qu'il se pose et il s'en pose. Car Franck Thilliez s'amuse à offrir des pistes et à en cacher. Ne sachant pas toujours si l'on est dans l'histoire ou dans un flash-back, on se pose longtemps des questions à savoir quel est le rapport entre les différents personnages et les différentes scènes. Malheureusement, lorsque l'on commence à saisir le lien, il ne reste plus grand mystère, à part un retournement final à la fois surprenant mais prévisible (oui, je sais, c'est contradictoire, mais pas tant que cela).

Alors, bien sûr, le sujet de départ peut être très casse-gueule et on peut féliciter l'auteur d'avoir tenté l'aventure, mais, il aurait été plus judicieux de parvenir à mettre le lecteur dans l'état d'esprit de l'héroïne en créant une écriture plus intimiste et en s'immiscant dans le cerveau complexe d'Alice Dehaene. Au lieu de cela, le traitement de l'auteur consiste à dissocier les personnalités d'Alice, certes, comme elles sont sensées l'être pour Alice, mais sans jamais pénétrer les pensées de chacune. Du coup, le lecteur a l'impression d'avoir affaire à différents personnages plutôt qu'à un seul. Ce parti pris, peut-être volontaire, a pour conséquence de faire reposer la folie, non pas sur le personnage d'Alice, pourtant la plus gravement touchée, mais sur les personnages secondaires.

Au final, "Fractures" n'est pas un mauvais roman, il en serait même plutôt un bon, mais souffre d'un parti pris qui plonge l'écriture le cul entre les deux chaises du Thriller et du Psychanalytique.

Dommage, ou pas, cela dépendra du lecteur. Pour autant, force est de constater que ce roman a marqué son auteur comme le démontre le blog qu'il a créé au nom de son héroïne, laissant croire, dans un premier temps, probablement pour des raisons de communication et de publicité, qu'il s'agissait du blog de la vraie Alice Dehaene, avant de révéler la "supercherie".

Pour vous plonger un peu plus dans le livre, je vous laisse l'adresse du blog :

Le blog d'Alice Dehaene.