Haka
« Haka » est un des premiers romans de Caryl Férey, du moins celui qui a commencé à le faire connaître.
Avec un tel titre, on se doute que l'histoire du roman va se dérouler en Nouvelle-Zélande. Avec un tel nom, on en vient à penser que l'auteur est anglo-saxon.
La perspicacité n'étant pas toujours récompensée, mais parfois si, le roman se déroule bien en Nouvelle-Zélande, mais l'auteur est tout ce qu'il y a de plus français.
Donc, dans ma quête de découverte d'auteurs de polars français, voici ma première rencontre avec la plume de Caryl Férey et, le moins que l'on puisse dire, est que cela fût un choc.
Avant de voyager à travers des mots, Caryl est un vrai baroudeur ayant fait le tour du monde à vingt ans et ayant travaillé pour le guide du routard.
Après avoir pris sa plume pour deux romans édités par une maison d'édition bretonne (sa région de naissance), il est remarqué et publié par les Éditions La Baleine, la fameuse maison d'édition de la saga « Le Poulpe » dont il coécrira un épisode, « D'amour et dope fraiche » avec Sophie Couronne, avant d'être réédité chez Gallimard.
« Haka » se déroule au pays des Maoris et du rugby ; rien d'étonnant, dès lors, à ce que l'histoire soit très virile.
Haka : Il y a vingt-cinq ans, Jack Fitzgerald s'est engagé dans la police néo-zélandaise avec l'esprit de retrouver sa femme et sa fille, toutes deux mystérieusement disparues. Aujourd'hui capitaine de la police d'Auckland, il cherche à travers les affaires du quotidien un lien qui pourrait le délivrer de sa névrose. La jeune fille que l'on vient de retrouver morte, le sexe scalpé sur une plage de Devonport, n'est que le premier d'une effroyable série de cadavres autour desquels gravitent un peintre épileptique, un dandy homosexuel, sa femme et quelques membres de la communauté maorie. Malcom Kirk le géant qui sème la terreur chez les prostituées, et surtout le charmant Zinzan Bee qui, avec ses guerriers, perpétue au cri du Haka des rites ancestraux sanguinaires. Secondé par Ann Waitura, une jeune et brillante criminologue, Jack Fitzgerald mènera l'enquête jusqu'au chaos final.
Je tiens à préciser que ce résumé est celui proposé par les Éditions La Baleine, sur leur site. Pourquoi cette précision ? Tout simplement parce qu'il y a au moins une fausse information dans ce texte. Malcolm Kirk n'est pas le géant qui sème la terreur chez les prostituées, mais c'est Tuiagamala ! Bref !
John Fitzerald est un métis ayant des origines maories très prononcées. Jeune, il tombe follement amoureux d'une femme avec qui il a très rapidement une petite fille. Malheureusement, les deux disparaissent et John s'engage dans la police dans l'espoir d'avoir plus de moyens et de facilités pour les retrouver.
Seulement, voilà vingt-cinq ans qu'il cherche sans aucun résultat et, le moins que l'on puisse dire, c'est que cela joue sur sa santé mentale. L'homme est obsédé et s'engage sur chaque enquête comme si elle pouvait avoir un rapport avec l'enlèvement des deux personnes qu'il aimait. Il vit seul, parfois soutenu par une voisine amoureuse de lui, et, la nuit, il n'hésite pas à rôder dans les coins malfamés pour éclater quelques malandrins.
Ses supérieurs ferment les yeux sur ses agissements nocturnes, sur sa violence, sur son manque de discipline, car John Fitzerald est un bon flic qui obtient des résultats.
Seulement, quand une jeune femme est découverte morte, sur la plage, le sexe scalpé, ses supérieurs lui adjoignent les services d'une jeune psychologue ayant déjà étudié un cas similaire. Un tueur en série sévit dans la région et Fitzerald va tout faire pour l'arrêter.
Mais voilà, l'enquête va aller bien plus loin que quiconque aurait pu l'imaginer.
La plume de Caryl Férey est parfois légère et poétique, mais elle est mise au service d'une histoire sombre, glauque et violente dont personne n'en sortira indemne, pas même le lecteur.
Bien sûr, on pourrait dénoncer les stéréotypes utilisés par l'auteur, le flic dur à cuire qui n'en fait qu'à sa tête et qui ne fait jamais de cadeau. Le flic détruit par la vie, aux portes de la folie. Le flic qui, sans le vouloir, charme ses partenaires. Le flic sans peur qui fonce dans le tas. Pourtant, force est de constater que Caryl Férey parvient à livrer un personnage attachant et original, malgré tous les poncifs qu'il use pour le construire.
Le style de Férey est prometteur, mais l'on sent qu'il n'est pas encore entièrement maitrisé. Cependant, il semblerait que l'auteur confirme ce ressenti dans les deux romans suivants, « Utu » et, surtout, « Zulu ». Je vous le confirmerai ou l'infirmerai dans quelque temps puisque je compte bien lire ces deux romans également.
Deux choses sont sûres, Férey ne fait pas dans la dentelle et il aime les pays dont il parle.
L'auteur se complait autant dans la violence que dans l'ambiance de la Nouvelle-Zélande, tant dans les paysages que dans l'histoire et les anciennes coutumes. À partir de là, le personnage principal est à l'image même du roman et du style, à la fois, Occidental, par sa mère écossaise, et Maori, par son père. Touchant et terrifiant. Austère et froid, comme le paysage, renfermant une profonde violence due à des traumatismes anciens et à un rejet toujours actuel, comme les Maoris...
Fitzerald est un homme solitaire, pourtant entouré pour les enquêtes, que ce soit par la psychologue, les deux jeunes flics qu'il prend sous ses ailes, son ami médecin légiste...
Mais quand on ne sait pas exprimer ses sentiments, l'on risque de tout perdre et c'est là tout l'enjeu du roman.
Totalement handicapé des sentiments, Fitzerald souffre et fait souffrir ses rares proches, acceptant, égoïstement, la chaleur que lui offre une voisine, sans jamais lui dire franchement qu'il ne l'aime pas, qu'il ne peut aimer. Il en est de même avec ses amis, partant du principe qu'un silence vaut mieux qu'un long discours.
Fitz, comme il est surnommé, devient alors impassible aux troubles, aux douleurs, tant physiques que mentales et se transforme en Zombie.
Pourtant, l'enquête a de quoi éveiller ses sens. La jeune psychologue, tout d'abord, qui ne le laisse pas de marbre, les liens étroits qui semblent se lier entre les meurtres et la communauté maorie et, surtout, Zinzan Bee, une sorte de Chamane aussi charismatique qu'inquiétant. Enfin, cette jeune femme dont le mari a été assassiné et qui, Fitz en est persuadé, ne peut être que sa fille disparue.
Férey joue alors avec ses personnages sans les ménager, les plongeant toujours plus loin dans la violence et dans la rage. Outre les femmes aux sexes scalpés, le lecteur devra faire face à des êtres éviscérés, énucléés à coup de batte, brûlés, aux membres coupés, aux os arrachés...
Si Fitz flirtait déjà avec la folie avant l'enquête, force est de constater que tout ce qu'il va vivre va le faire basculer encore plus loin qu'on ne pourrait l'imaginer.
L'auteur ne se pare pas d'angélisme et ne cherche pas à ménager ni ses personnages ni les lecteurs, et ce, jusqu'au tout dernier mot, point d'orgue à un final déjà apocalyptique qui finit d'éteindre la moindre parcelle d'optimisme chez le lecteur et le fige d'effroi, pour peu que l'on n’ait pas vu venir la révélation finale, ce qui fût mon cas.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que la lecture de « Haka » est un choc au moins aussi grand qu'une rencontre brutale avec un Jonah Lomu lancé à pleine vitesse.
Au final, « Haka » est un roman désenchanté, violent, sombre, glauque, sans concession, à la fois envoûtant et repoussant, qui ne ménage ni les personnages ni les lecteurs. Une lecture-choc, malgré les quelques défauts dont souffre le roman, mais qui laisse envisager le meilleur pour les prochains ouvrages de l'auteur.