Au bonheur des ogres
Daniel Pennac est un auteur né en 1944 qui a commencé par écrire des romans jeunesse avant de se lancer dans le polar « décalé » avec le premier opus de la saga « Malaussène », « Au bonheur des ogres ».
Il est important de préciser que l'auteur a d'abord écrit pour les enfants, car cela se ressent même jusque dans la saga « Malaussène » qui est pourtant, de par sa trame, à réserver aux adultes.
Mais, le talent de conteur de l'auteur a été transmis à son personnage principal, Benjamin Malaussène.
Benjamin est chef de famille, mais pas père, puisqu'il est contraint, par une mère qui disparait après chaque accouchement consécutif à une relation avec des hommes différents et inconnus, à s'occuper de ses frères et sœurs.
Entre un bout de chou aux lunettes roses que tout le monde appelle « le petit », un môme prêt à toutes les expériences, surtout les pires, prénommé Jérémy, une jeune ado qui « sténodactylote » tout ce qu'elle entend quand elle ne lit pas l'avenir à tout le monde, une autre ado qui photographie tout ce qui passe sous ses yeux et une grande sœur enceinte d'un homme qui ne veut pas d'enfant, Benjamin a fort à faire. Mais si on rajout Julius, un chien aussi malodorant qu'épileptique, alors, les journées sont très chargées.
Heureusement, Benjamin a un métier dans lequel il excelle. Il travaille au service technique des réclamations d'un grand magasin, en plus, il est bien payé. Seul problème, sous ce titre clinquant, Benjamin n'est ni plus ni moins qu'un « Bouc émissaire professionnel ». Effectivement, il est payé pour geindre et subir le courroux de ses supérieurs devant le regard gêné de clients mécontents venus dans le but de déposer plainte. Mais comme Benjamin pleure et endosse la faute comme personne, proposant chaque fois sa démission si ce n'est pire encore, le client repart, chaque fois, sans insister, pour ne pas être responsable du malheur de ce pauvre Benjamin.
Mais bon, « Bouc émissaire » est un métier, pour lui, et il lui permet de nourrir sa nombreuse famille et de raconter des histoires, le soir, à toute sa fratrie, notamment au « gamin » qui rêve d'ogres de Noël.
Et des histoires, il va pouvoir leur en conter avec ce qu'il se passe ces derniers jours dans son magasin puisque Benjamin a été le témoin principal de trois explosions en quelques jours. Trois explosions, trois morts, un seul témoin, Benjamin. Il n'en faut pas plus à la police pour le trouver suspect. Et quand un bouc émissaire devient suspect, il y a fort à parier que tout le monde va tenter de lui rejeter la faute sur le dos.
Cependant, parmi tout ce malheur, Benjamin est heureux, car il rencontre une jeune journaliste qu'il nomme « Tante Julia » dont il va tomber amoureux.
« Au bonheur des ogres » est le premier opus d'une saga qui compte 6 romans mettant en scène la famille Malaussène.
Cette histoire autour d'explosions meurtrières est donc l'occasion de découvrir les personnages récurrents de la série. La famille de Benjamin, mais, également, Théo, travaillant au magasin et s'occupant d'occuper une bande de petits vieux, Stojilkovicz, gardien de nuit au magasin, Julie, la journaliste rousse, Coudrier, un commissaire...
Outre le style tout particulier de l'auteur, la légèreté de ton, notamment celui du narrateur principal, Benjamin Malaussène, l'humour omniprésent, parfois onirique, parfois poétique, c'est avant tout la propension qu'a Pennac à décrire une situation en apportant tout un tas d'éléments humoristiques et à désamorcer immédiatement chaque élément pour éviter de sombrer dans la grosse farce. Pour faire un rapprochement, je dirais que le style de Pennac est, à la littérature, ce que celui de Alex de La Iglesia, réalisateur, entre autres, de « El Dia de la Bestia/Le jour de la Bête », est au cinéma. Les deux hommes aiment laisser croire à la grosse rigolade pour, au final, proposer un humour plus fin, plus digeste et plus plaisant sur la longueur qu'une énorme farce qui est aussi vite oubliée que consommée.
Mais, Daniel Pennac sait aussi y faire pour nous proposer des personnages très attachants et force est de reconnaitre que la famille Malaussène en comprend un bon nombre.
Pourtant, si Benjamin, héros central, fait naitre l'empathie du lecteur de par son bon fond, son métier hors du commun et son attitude à toujours se trouver au centre d'embrouilles sans le vouloir, le personnage qui se détache encore plus par l'immédiat attachement que l'on peut avoir pour lui est Julius, un chien qui pue, qui bave et qui a le malheur de faire des crises d'épilepsie à chaque fois qu'il se trouve sur un lieu où quelque chose de grave s'est déroulé.
Notons également la relation toute particulière qui lie Benjamin à chaque personnage, mais, surtout, à Stilkovicz, surnommé « Oncle Stilko » par les enfants.
En bref, la famille Malaussène est une famille de doux dingues à qui il arrive toujours quelque chose, pour le plus grand bonheur du lecteur qui sourira à leurs aventures pourtant pas toujours très drôles, voire même totalement horribles et qui s'attachera immédiatement à cette petite tribu, ce qui obligera le lecteur à sauter immédiatement sur l'opus suivant.
Daniel Pennac a compris que des personnages attachants étaient bien plus addictifs qu'un scénario rocambolesque, mais il a encore plus compris que lier les deux était un gage de qualité.
Ainsi, le lecteur ne pourra s'empêcher d'être triste en tournant la dernière page du roman et en devant abandonner ces personnages émouvants. Heureusement, Daniel Pennac a pensé à ces lecteurs et a écrit cinq autres opus.
Elle n’est pas belle la vie ?