Harry Dickson est un des plus complexes avatars de Sherlock Holmes que la littérature populaire a pu produire pour le pire et pour le meilleur.
Pour le pire, d’abord puisque l’origine de la série est une exploitation éhontée du personnage de Sherlock Holmes dans une série fasciculaire allemande, en 1907, qui sera rééditée en néerlandais. Le personnage de Sherlock Holmes est présent nommément, mais, très vite, les avocats de Conan Doyle attaquent becs et ongles et le nom du détective disparaît du titre puis des aventures.
Jean Ray, auteur belge et traducteur du néerlandais au français, sera chargé de traduire rapidement cette production insipide. Très vite lassé de cette purge littéraire, Jean Ray va se lancer le défi d’écrire des aventures originales plutôt que de traduire celles existantes. L’éditeur français de la série accepte, mais à une condition, que les textes écrits par Jean Ray conservent un rapport avec l’illustration de la couverture d’origine et le titre initial (il a probablement acheté les droits de ces illustrations et ne veut pas gâcher son investissement).
Jean Ray se sort haut la main de cette contrainte et écrit plus d’une centaine des aventures de Harry Dickson sans que cela soit mentionné à l’époque.
Ce n’est que quelques années avant sa mort, fort de sa réputation dans la littérature d’anticipation dont « Malpertuis » (adapté au cinéma avec Orson Welles comme acteur) et « La cité de l’indicible peur » (adapté au cinéma par Jean-Pierre Mocky avec Bourvil comme acteur), que Jean Ray va établir un listing des aventures de Harry Dickson dont il est l’auteur.
Depuis, les aventures de Harry Dickson ont été de nombreuses fois rééditées, voire même poursuivies par des auteus des éditions du Carnoplaste (éditeur spécialisé dans les fascicules).
En 1984, les éditions Néo Club, décide d’éditer une intégrale des aventures de Harry Dickson écrites par Jean Ray (ce qu’avait déjà tenté les éditions Marabout).
Harry Dickson — Intégrale Tome 1 : Le « Sherlock Holmes américain » est bien différent des autres grands détectives. Il possède les qualités propres aux grands détectives, flair, logique, flegme. Mais son univers est celui de l’étrange, du fantastique, le monde des monstres, de l’anormalité, de l’occultisme. À redécouvrir absolument. 1934-1936 Dans les griffes de l’idole noire La statue assassinée Le cas de Sir Evans La voiture démoniaque L’« Hôtel des Trois Pèlerins »
Oui, le surnom d’Harry Dickson est : « Le Sherlock Holmes américain », car, si le nom du détective de Conan Doyle ne pouvait être exploité directement, rien n’empêchait les comparaisons flatteuses afin d’attirer les lecteurs avides du Canon Holmésiens... et les autres.
Mais là où la plupart des avatars du genre se contentent de naviguer dans le monde mystérieux du crime, Harry Dickson, ou Jean Ray introduit des éléments « fantastiques » dans ses enquêtes (je ne sais si c’est Jean Ray qui a fait voyager Dickson dans ce genre ou bien si les premiers fascicules comprenaient déjà ces éléments).
Ainsi, même si souvent, du moins de ce premier Tome, le fantastique n’est qu’illusion et que le crime est bien l’œuvre d’une personne humaine, les crimes sont présentés comme émanant de monstres ou de créatures fantastiques.
Si je suis féru de littérature populaire policière, je suis bien moins à l’aise dans le genre fantastique, pourtant, étant donné que cet aspect n’est, la plupart du temps, que poudre aux yeux, j’ai pu me délecter de ces premières aventures issues de la main de Jean Ray.
Il faut reconnaître à l’auteur belge une qualité indéniable de plume malgré la rapidité avec laquelle il rédigeait chaque histoire. Malgré la contrainte du titre et de la couverture, ou grâce à cette contrainte, Jean Ray nous livre alors des enquêtes tintées de fantastique durant lesquelles Harry Dickson et son jeune élève Tom Wills font montre de pugnacité, de témérité, mais, surtout, de perspicacité.
Sans développer son personnage outre mesure, la taille des textes ne l’aurait pas permis de toute façon, Jean Ray parvient à le rendre attachant grâce, notamment, à son détachement, un flegme tout britannique (un comble pour un Américain, mais c’est probablement parce qu’il habite à Londres, devinez à quelle adresse ? 221 B Baker Street).
Aucune surprise à ce que les nouvelles finalement non fantastiques m’aient plus enthousiasmé que les autres, mais, pour autant, les unes comme les autres sont agréables à lire.
Au final, une bien bonne surprise que ces aventures de Harry Dickson de Jean Ray dont les titres originaux (ceux écrits en allemand) ont une fort mauvaise réputation. L’auteur a travaillé vite et bien et a réussi avec brio à se jouer de la contrainte imposée par son éditeur.