L'Ombre Rousse
Fabrice Delphi est un auteur de la littérature populaire que je n’avais pas, jusque là, abordé, pour la simple et bonne raison que je ne m’étais encore jamais penché sur un de ses textes.
C’est chose faite désormais avec « L’Ombre Rousse », un titre initialement édité dans cultissime collection « Mon Roman Policier », 1re série, de la non moins culte maison d’édition Ferenczi.
Fabrice Delphi ou DELPHI-FABRICE, de son vrai nom Gaston Henri Adhémar Risselin, est né le 10 octobre 1887 et mort le 26 mars 1937 (L’Abbé Bethléem évoque, lui, un décès en début avril 1937).
Critique d’art, décrié pour son homosexualité, il se lance dans l’écriture et obtient un certain succès avec son roman « L’araignée rouge », puis devient rédacteur pour le journal « Gil Blas » et au « Supplément de la Lanterne ».
Il passera sa vie à écrire des saynètes tirées des romans de la Comtesse de Monségur, des pièces de théâtre, des romans, des monologues, pour, au final, vivre et mourir dans un complet dénuement.
Oublié des siens, pairs et proches, à l’époque, il le demeure des lecteurs d’aujourd’hui, enfin, jusqu’à ce jour.
L’OMBRE ROUSSE : La terrifiante affaire de « L’Ombre Rousse » retentit encore dans l’esprit des Parisiens… Une jeune artiste lyrique retrouvée étranglée dans sa chambre d’hôtel qui, au sortir du coma, a pour seule réplique « L’Ombre Rousse ». Très vite, un dramaturge connaissant vaguement la victime est suspecté par le juge d’instruction d’être le complice du soupirant éconduit de cette dernière. Si les deux hommes clament leurs innocences, le premier n’en nourrit pas moins de sérieux soupçons envers le second. Mais l’assassin est-il vraiment aux mains de la Justice ? L’auteur est-il impliqué dans la tentative de meurtre ? Et puis, que signifie ce nom crié avec horreur par la chanteuse : « L’Ombre Rousse » !
La collection « Mon Roman Policier » dont est issu ce titre, bien que culte et regroupant des titres écrits par les plus grands auteurs de la littérature populaire de l’époque et illustré par l’excellent Gil Baer, n’en contient pas moins, pour autant, des textes dispensables pour beaucoup.
Dispensables à plusieurs titres.
Tout d’abord le format 32 pages laisse peu de latitude aux auteurs pour mettre en place des intrigues et des personnages. Du fait, on se retrouve bien souvent avec des romans plaçant le suspens et l’enquête au second plan pour leurs préférer de l’action et de l’aventure, des scènes plus rythmées et nécessitant moins d’ampleur pour demeurer efficaces et agréables à lire.
Ensuite, parce que la collection est à l’image de la littérature populaire de son époque qui hésite encore entre cette action mise en avant et le suspens promis par le genre contenu dans son titre « Policier ».
Le style de ces années 1920 est plus proche, dans la surannation, de celui de la première décennie de ce siècle naissant que celui, ne serait-ce, que de la décennie suivante, annonciateur par bien des points à un esprit « Faubourien » et annonciateur de la plume argotique dont Frédérice Dar se fera le chantre après la Seconde Guerre et qui sera initiée, par exemple, par des auteurs moins reconnus comme Gustave Gailhard avec son court roman « Un cadavre sur une route ».
Pour autant, cette même collection regorge pourtant de bons textes, qu’ils soient ou non ancrés dans ce style compassé, la preuve en est avec les titres réédités dans la collection « Les Cadennes » chez OXYMORON Éditions et, notamment, le titre en question aujourd’hui.
Car Fabrice Delphi nous conte là une histoire narrée à la première personne à propos d’un fait divers qui ce serait déroulé dans les années 1910.
Si l’ensemble est donc daté à quelques années près, le style lui, l’est beaucoup moins, et si ce n’est quelques détails qui rappellent l’époque dans laquelle ce situe cette histoire, le reste se lit avec un grand plaisir et sans ce sentiment d’avoir affaire à texte aux charmes d’antan.
Certes, on ne vantera pas la modernité du texte, loin de là, mais on le lit sans même, d’ailleurs, se soucier de l’époque à laquelle il est censé se dérouler, ni même à celle à laquelle il a été écrit.
La force du récit réside d’ailleurs dans cette sensation, ou non sensation. On lit l’ensemble, avant tout, comme une bonne et courte histoire et non comme un récit d’antan même si on peut rapprocher le style et l’ambiance à, par exemple, le roman « L’épouvante » de Maurice Level.
Bien évidemment, ce sentiment naît avant tout, de la narration à la première personne, mais pas que.
Car, Fabrice Delphi nous met dans la peau de son héros, un jeune dramaturge qui, discutant d’un fait divers avec son ami médecin, se rend compte, grâce à ce dernier, qu’il connaît la victime. Par association, il se souvient de l’homme qui lui a présenté la jeune femme et est fort surpris que ce souvenir coïncide avec l’apparition de ce dernier. La fatigue qui se lit sur le visage de l’arrivant, les gants qu’il porte aux mains, son ébranlement à l’évocation du destin tragique de la chanteuse, sa fuite, enfin, font naître dans l’esprit de l’écrivain des soupçons à son égard.
Et cela n’est rien face à la volonté farouche du bonhomme de vouloir faire de lui son confident, en l’abordant lors d’un spectacle puis en lui envoyant une lettre.
Le dramaturge se retrouve alors écartelé entre plusieurs positions. Celle de ne rien vouloir savoir, celle d’entendre la confession, ou de la lire, pour savoir si ses doutes sont fondés et celle d’en parler à la justice. C’est la seconde puis la troisième solution qu’il choisira, regrettant, devant la réception du juge d’instruction, d’avoir fait cette démarche.
Il le regrettera d’autant plus que le même juge d’instruction va le faire arrêter pour complicité dans la tentative de meurtre. L’écrivain aura beau clamer son innocence, rien n’y fera...
Le texte, bien que concis, réserve son lot de plaisir de lecture, à l’évocation du crime, lors des tergiversations du héros, puis dans sa chute et... je vous en laisse la surprise.
L’ensemble est plutôt rondement mené et, surtout, moins daté et dans l’esprit et les sujets de son époque que bien d’autres titres de la fameuse collection.
Ne serait-ce que pour cela, ce titre de Fabrice Delphi devient indispensable pour qui s’intéresse à la littérature populaire de l’époque.
Mais, en plus de se révéler un témoin original de cette production, « L’Ombre Rousse » est, avant tout, un bon petit texte qui se dévore avec plaisir, et, rien que pour cela, mérite d’être lu même par les lecteurs ne se souciant pas de cette littérature particulière.
Au final, une découverte de la production de Fabrice Delphi très intéressante, et qui donne envie d’en découvrir plus même si l’auteur n’était pas spécialisé dans le genre « Policier ».