De cauchemar et de feu
Nicolas Lebel (l’écrivain) est forcément une belle rencontre littéraire puisque je viens de lire quatre de ses romans consécutivement, les quatre romans mettant en scène ses personnages récurrents que sont le capitaine Merhlicht, les inspecteurs Latour et Dossantos, le Commissaire Matiblout, le médecin légiste Carel et le stagiaire (qui change selon l’épisode puisqu’un stagiaire est forcément de passage).
Je passe la bio de l’écrivain, comme à chaque fois, elle est succincte et ne m’intéresse pas plus que celles de ses confrères (je ne m’intéresse qu’aux textes).
Pour rappel, le capitaine Merhlicht est un petit homme d’une cinquantaine d’années, maigrichon, à la tête de batracien avec de gros yeux globuleux, de rares cheveux, un teint verdâtre et qui est à la fois attachant et détestable. Fumeur invétéré, veuf depuis deux ans, père d’un ado, il avait, jusqu’à présent, son ami Jacques, ancien collègue, pour l’occuper. Ce dernier était à l’hôpital en phase terminale d’un cancer des poumons dans les deux premiers épisodes et, même mort, dans le troisième, était le personnage central.
On était alors en droit de se demander ce que deviendrait Merhlicht sans Jacques. Nicolas Lebel nous répond à la question avec « De cauchemar et de feu ».
De cauchemar et de feu : Paris, jeudi 24 mars 2016 : à quelques jours du dimanche de Pâques, le cadavre d’un homme d’une soixantaine d’années est retrouvé dans un pub parisien, une balle dans chaque genou, une troisième dans le front. À l’autopsie, on découvre sur son corps une fresque d’entrelacs celtiques et de slogans nationalistes nord-irlandais. Trois lettres barrent ses épaules : IRA. Le capitaine Mehrlicht fait la grimace. Enquêter sur un groupe terroriste irlandais en plein état d’urgence ne va pas être une partie de plaisir. D’autant que ce conflit irlandais remonte un peu. Dans ce quatrième opus, Nicolas Lebel nous entraîne sur la piste d’un assassin pyromane, un monstre né dans les années 70 de la violence des affrontements en Irlande du Nord, qui sème incendie, chaos et mort dans son sillage, et revient aujourd’hui rallumer les feux de la discorde à travers la capitale.
Il faut bien avouer que l’atout principal de la série est le personnage de Merhlicht (ça tombe bien, c’est le personnage principal). Sa mauvaise humeur permanente et ses réparties cinglantes sont à l’origine de la plupart des sourires que procure la lecture de ces romans. Mais Merhlicht, via la relation avec Jacques, puis celle avec son fils, est également à l’origine de la plupart des moments d’émotions.
De plus, l’auteur use de deux tactiques déloyales (enfin, si l’on considère que fidéliser son lecteur est déloyal) pour conserver le lecteur dans son giron. La première est l’utilisation d’un gimmick, d’un running gag, d’une blague récurrente (appelez cela comme vous voulez) avec l’histoire de ses sonneries de téléphones qui tombent toujours à pic. Effectivement, plutôt qu’une sonnerie banale, le fils du capitaine lui installe, chaque fois, une application différente pour personnaliser la sonnerie (dialogues d’Audiard, chansons de Brel, morceaux de vieux sketches et, dans cet épisode, des questions de Julien Lepers, l’ennemi juré du policier).
Ces sonneries entrent toujours en résonnance avec la situation et tombent à point nommé.
La seconde tactique consiste à proposer une histoire principale résolue à la fin de chaque titre et d’une histoire secondaire qui s’étend de l’un à l’autre ce qui fait que même quand on a terminé un roman, on est pressé de passer au suivant pour savoir ce qu’il se passe. En l’occurrence, c’est la relation particulière entre Latour et Dossantos qui est au centre de cette histoire secondaire. Dossantos, amoureux transi de Latour, mais qui, apprenant que celle-ci est en couple avec un sans-papiers, va renouer avec un personnage de son passé pour tenter d’obtenir une carte de séjour à son rival, pour faire le bonheur de sa bien-aimée, quitte à faire le sien doublement. Premièrement, parce qu’il aide un rival. Secondement, parce que le service qu’il va demander à son ancienne relation va lui coûter très cher et le foutre dans la merde.
Bien sûr, Nicolas Lebel ne se contente pas de ces deux éléments, il apporte également une plume agréable et une histoire plutôt intéressante et rondement menée.
Je dis rondement menée, car, je notais déjà depuis deux épisodes, que l’auteur semblait de plus en plus utiliser le manuel « L’écriture de polar pour les Nuls », en utilisant un processus que je reproche à beaucoup d’auteurs, celui du récit alterné. En clair, deux histoires différentes sont narrées alternativement (que ce soit deux histoires en parallèle ou deux histoires qui se déroulent à des époques différentes) et le lecteur passe de l’une à l’autre et les histoires se développent à tour de rôle.
Dans les deux précédents épisodes, la pratique était présente, mais pas omniprésente. Les chapitres de la seconde histoire étaient rares et courts.
Ici, malheureusement, les chapitres sont plus nombreux (presque autant que ceux consacrés à l’enquête) et presque aussi longs. Je dis « malheureusement » parce que, si cette tactique permet de dynamiser faussement un récit et d’en faire un « page turner » (livre à suspens dont on tourne les pages pour connaître la suite) à moindres frais, il n’en reste pas moins un simulacre. Cependant, si ce procédé me dérange toujours ou presque du fait qu’il n’est que faux semblant, l’utiliser dans un « One shot » (un roman avec des personnages qui ne seront pas réutilisés) est encore acceptable. Mais, dans le cas d’une série et, encore plus, quand on a déjà dégusté plusieurs épisodes avec les mêmes personnages, l’envie du lecteur, du moins, le mien, est clairement de suivre les pérégrinations de mes héros (en l’occurrence, Merhlicht, Latour et Dossantos). Cependant, là, quasiment un chapitre sur deux, j’étais obligé de suivre d’autres personnages et une autre histoire, ce qui m’a tout de même plutôt gêné.
Alors, certes, à la décharge de Nicolas Lebel, ce dernier, par l’intermédiaire de ces chapitres en sus, tente de nous raconter tout un pan de l’histoire de l’Irlande du Nord, de l’IRA, des horreurs de ces affrontements religieux et territoriaux. Il essaye d’expliquer la naissance d’un tueur sanguinaire issu d’un personnage qui, pourtant, était destiné à tout autre qu’à devenir un assassin sauvage. Bien sûr, ces chapitres apportent leur lot de réponses à des questions que l’on ne se pose pas forcément. Probablement que le sujet intéresse l’auteur (il est linguiste, a fait des études de lettres et d’anglais, a vécu un temps en Irlande), mais, à mon sens, si l’auteur voulait absolument parler de ce sujet, il aurait dû y consacrer un roman entier (d’ailleurs, il y a de la matière pour cela). Là, présentement, moi, ce que je voulais, c’est suivre les aventures de Merhlicht et ses hommes (et femme) et là, j’étais un peu frustré de devoir, à chaque fois, replonger dans le passé de l’Irlande du Nord, un sujet qui, en plus, ne m’intéresse pas plus que cela.
Ceci dit, et malgré le bémol dont je viens de parler, le roman est plutôt plaisant à lire et, même si Jacques n’est plus et que les moments d’émotions sont moins nombreux (et ceux d’humour un petit peu moins également) il reste bien des personnages et des récits secondaires pour rythmer l’ensemble et offrir son lot de bons moments. Le policier anglais et ses soi-disant expressions françaises, les problèmes de Dossantos, l’idylle naissante entre Merhlicht et Mado...
Au final, même si je regrette cette alternance de chapitres et l’omniprésence de l’histoire secondaire qui m’intéressait moyennement, il faut bien avouer que Nicolas Lebel a su mener son histoire de bout en bout, faire évoluer ses personnages tout en en conservant les atouts et nous berner jusqu’à la fin en laissant l’histoire secondaire en suspens, prenant le lecteur dans ses filets et le forçant à attendre le prochain opus pour savoir comment tout cela va évoluer. Moi qui n’aime pas les romans à suite, voilà que je suis piégé dans une suite qui n’en est pas une tout en en étant une, mais sans en être une. Sacré Nicolas Lebel.