Sang et volupté
On approche lentement de la fin de la série « Les dessous de l’agence Garnier » avec ce 5e et avant dernier épisode : « Sang et volupté ».
« Les dessous de l’agence Garnier » est une série policière de 6 épisodes, menée de main de maître par la plume de l’énigmatique J.A. Flanigham et qui fût publiée en 1955 et 1956 dans l’éphémère magazine « Miroir-Police » (6 numéros).
J. A. Flanigham est un auteur de la littérature populaire qui sévit entre 1945 et 1959 sans que l’on sache qui se cachait derrière ce pseudonyme. À la lecture de ses textes on devine qu’il s’agissait d’un auteur de talent, maîtrisant parfaitement les formats courts (nombres de ses textes ont été édités sous format fascicule 32 pages soit un peu moins de 10 000 mots), qu’il était très inspiré par le polar noir à l’américaine de l’époque, qu’il excellait dans l’art des incises et des indications scéniques au sein de ses dialogues et que ses romans sont, pour la plupart, d’excellentes qualités.
« Les dessous de l’agence Garnier » est une série d’histoires avoisinant les 25 000 mots et qui met en scène les membres d’une agence de détectives dont Georges Garnier est le boss, Christiane, la secrétaire et Bernoux l’homme de terrain.
SANG & VOLUPTÉ
Le détective Georges Garnier reçoit, une nuit, un appel téléphonique de Madeleine – sans doute l’unique femme sur terre avec qui ce volage impénitent pourrait s’imaginer vivre une idylle, – lui demandant expressément de venir à son domicile, car elle attend une redoutable visite.
Sur place, Jo découvre le cadavre encore chaud de sa belle, le crâne fracassé…
Soudain, un individu surgit derrière lui et le menace d’un revolver…
Georges Garnier, dit Jo, a pris un grand coup sur la tête, au propre comme au figuré, puisque la seule femme avec qui il pouvait imaginer vivre quelque chose vient d’être assassinée alors qu’elle venait de l’appeler à l’aide et que lui, débarquant chez elle pour découvrir son corps encore chaud, s’est ramassé un grand coup sur le crâne après avoir mis K.O. un individu sur place.
Mais Madeleine, la fameuse femme était aussi la secrétaire de son ami Verrier, un éditeur littéraire dont le poulain, Raymond Losse, connaît un grand succès dans le monde du roman policier. Plus que secrétaire, d’ailleurs, puisqu’elle en était aussi la maîtresse.
C’est donc autant pour son compte que pour celui de son ami que Georges décide de trouver l’assassin.
De son côté, Bernoux est contacté par une jeune femme qui ne le laisse pas insensible (mais quelle femme ne laisse pas insensible Bernoux ?) et qui le prie de venir chez elle pour rencontrer son frère qui a des révélations à lui faire sur l’assassinat de Madeleine. Sur place, ils découvrent le corps poignardé du frère, frère qui se révèle être l’homme boxé par Georges chez Madeleine...
Et les mots vont s’enchaîner, ainsi que les enlèvements et les disparitions, sur un rythme échevelé jusqu’à un point final qui, s’il aurait du mal à tenir debout actuellement, était peut-être crédible à l’époque...
Si l’on peut mettre en avant dans cet épisode toutes les qualités de plume constatées dans tous les autres romans de l’auteur et si l’on peut y ajouter l’attachement aux personnages dont on suit les aventures depuis 5 épisodes, il est pourtant un détail qui dénote ici, et plutôt positivement. En fait de détail, ce serait presque une révolution dans le monde littéraire de J. A. Flanigham puisque l’image de la femme sortirait plutôt grandie de cette histoire alors qu’en général elle est plutôt piétinée par un point de vue inhérent au genre du roman noir à l’américaine des années 1950.
Car, oui, à chaque fois je reproche cette vision très manichéenne de la femme dans les récits de Flanigham et encore, manichéenne est un terme sympathique tant, en fait, la femme ne navigue que dans le côté obscur en cheminant de la garce à la pute et de la pute à la mante religieuse machiavélique. Bref, le terme qui sied le mieux à la femme selon Flanigham serait : vénéneuse.
Or, là, sur les trois personnages de femmes présents dans cette histoire, aucun n’est à ranger du côté des garces (contrairement à l’épisode précédent qui fait son titre de cette généralité abusive). Certes, leurs rôles ne sont pas extrêmement glorieux et l’auteur les classe assez facilement dans la catégorie qui s’attendrit rapidement, mais, enfin, hormis la secrétaire Christiane, qui endosse toujours le rôle le plus positif de la gent féminine de la série, l’auteur nous propose deux femmes cherchant à défendre ou à protéger l’homme, que celui-ci soit mari ou frère... et c’est déjà beaucoup.
À part cela on pourra regretter le rôle mineur de Bernoux qui est pourtant le personnage par qui l’humour passe habituellement.
Pour le reste, on retrouve toutes les qualités d’écriture de Flanigham, peut-être quelques révélations cachées sur son identité (il est question, également, d’écrivain de romans policiers dans l’histoire), il faudrait creuser un peu plus pour le savoir, et, en plus, on notera une propension plus marquée qu’à l’ordinaire, de faire s’alterner les faits et gestes des différents protagonistes, afin de rythmer le récit, une astuce dont les auteurs actuels usent et abusent bien souvent à mon grand regret, mais qui, là, dans un texte court, se justifie réellement et apport un petit plus.
Au final, c’est lassant de se répéter sans cesse, mais J.A. Flanigham s’avère être un excellent écrivain qui maîtrisait mieux que quiconque le format court, de par sa narration, la maîtrise de l’histoire, des incises et des indications scéniques qui renforcent la création des images dans la tête du lecteur tout en permettant de mieux cerner les personnages et en permettant une certaine concision. Bref, du grand art.