Dans la brume écarlate
Étant passionné de littérature populaire policière de la première moitié du XXe siècle, il est assez rare que je sois impatient de la sortie d’un nouvel opus d’une série littéraire que j’affectionne.
Tout au plus, suis-je impatient dans le dénicher chez un brocanteur ou un libraire spécialisé dans la littérature populaire ou bien chez un quelconque particulier vendant une partie de sa collection sur Internet.
Aussi, est-il rare que je me trouve dans la position dans laquelle j’étais à la fin de la lecture de « De cauchemar et de feu » le 4e opus de la série mettant en scène le capitaine Mehrlicht et les inspecteurs Latour et Dos Santos.
Effectivement, après cette 4e lecture en compagnie de l’équipe, je n’avais qu’une hâte, découvrir la suite, et ce pour deux raisons.
La première, parce que j’avais beaucoup aimé les quatre romans.
La seconde parce qu’en plus de proposer une histoire qui tient debout, des personnages intéressants, de l’humour et une plume agréable, Nicolas Lebel poussait le machiavélisme à tendre un fil rouge au travers de son histoire, fil qu’il étire depuis le premier roman.
Autant vous le dire tout de suite, « Dans la brume écarlate » reprend tous les ingrédients des précédents épisodes (Jacques en moins, puisque l’ami cancéreux est mort)... jusqu’au fil rouge qui va s’étendre sans nul doute jusqu’au 6e opus.
Pour rappel, Mehrlicht et un capitaine grincheux, misogyne, fumeur invétéré, à la tête de grenouille, au teint verdâtre, au vocabulaire gras, à la voix rocailleuse, mais c’est surtout un policier prêt à tout pour résoudre une affaire et protéger ses hommes, même quand ceux-ci sont des femmes.
Il est veuf depuis quelques années, mais ne parvient pas à s’y faire et il élève seul son ado de fils.
L’inspecteur Dos Santos est un géant bodybuildé, entraîné aux arts martiaux, connaissant le code sur le bout des doigts et pour qui la loi est la loi, point barre ou poing dans la gueule quand il est nécessaire pour faire comprendre à un contrevenant qu’il ne peut arrêter légalement.
Son point faible : l’inspecteur Latour, une jeune femme dont il est raide amoureux et pour qui il est prêt à tout, même à renouer avec ses anciennes connaissances d’extrême droite quand il s’agit d’obtenir des papiers pour un immigré clandestin dont la policière s’est follement éprise.
Dans la brume écarlate :
Une femme se présente au commissariat du XIIe et demande à voir le capitaine Mehrlicht en personne... Sa fille Lucie, étudiante, majeure, n’est pas rentrée de la nuit. Rien ne justifie une enquête à ce stade, mais sait-on jamais... Le groupe de Mehrlicht est alors appelé au cimetière du Père-Lachaise où des gardiens ont découvert une large mare de sang. Ils ne trouvent cependant ni corps ni trace alentour. Lorsque, quelques heures plus tard, deux pêcheurs remontent le corps nu d’une jeune femme des profondeurs de la Seine, les enquêteurs craignent d’avoir retrouvé Lucie. Mais il s’agit d’une autre femme dont le corps exsangue a été jeté dans le fleuve. Exsangue ? Serait-ce donc le sang de cette femme que l’on a retrouvé plus tôt au Père-Lachaise ? La police scientifique répond bientôt à cette question : le sang trouvé au cimetière n’est pas celui de cette jeune femme, mais celui de Lucie...
On prend les mêmes et on recommence, ou plutôt, en l’occurrence, on continue puisque, si les enquêtes sont closes le temps d’un roman, la vie personnelle des protagonistes, elle, se poursuit d’épisode en épisode.
Dans les précédents, Mehrlicht, veuf éploré et fumeur invétéré, avait perdu son ami Jacques, un ancien collègue lentement dévoré par le cancer des poumons.
Dans une précédente enquête, il avait fait la connaissance de Mado, tenancière d’une auberge dans un bled paumé et avait promis à Jacques de repasser les qualifications pour le jeu télévisé « Que le meilleur gagne » dans lequel son immense culture lui promettait de briller, mais auquel il avait été jadis recalé à cause de son physique atypique et, surtout, de son langage imagé.
Latour était tombée amoureuse d’un migrant sans papier qui vivait sous la menace d’une reconduite à la frontière.
Dos Santos, toujours follement épris de Latour, mais prêt à tout pour son bonheur, avait décidé de renouer avec son passé, à l’époque où il côtoyait les milices d’extrême-droite, afin d’obtenir l’aide d’un politicien ayant des relations pour obtenir les papiers pour le fiancé de Latour. Mais les choses ne s’étaient pas passées comme il le désirait et, après un imbroglio, le migrant avait été écrasé par un des miliciens et Dos Santos avait été suspecté d’être le conducteur du véhicule.
Latour, elle, bah, elle en voulait à son collègue et vivait à nouveau dans la peur de voir l’amour de sa vie expulsé.
C’est dans ce contexte qu’une mère de famille débarque au commissariat pour déclarer la disparition de sa fille, une adolescente gothique.
Bien que la disparition soit trop récente pour normalement déclencher une enquête, Mehrlicht, Dos Santos et Latour vont pourtant décider d’agir contre vents et marées et, très vite, se retrouver confrontés avec un tueur en série peu ordinaire.
On retrouve dans ce nouvel épisode à peu près tous les éléments (dans une proportion plus ou moins équivalente) déjà présents dans les précédents.
De l’humour (un peu moins depuis la mort de Jacques).
De la tendresse (pour les personnages, mais également entre certains personnages).
Des critiques sociétales (ici, sur le traitement des migrants en France).
Les sonneries de téléphone de Mehrlicht (oui, il faut avoir lu au moins un épisode de la série pour comprendre).
Les rapports compliqués entre Mehrlicht et son fils et encore plus compliqués entre Dos Santos et Latour.
Une enquête sombre.
Des récits alternés. (Ici, l’histoire se développe au travers de 4 points de vue).
Et un fil rouge à suivre dans l’épisode précédent.
Si l’humour est moins présent, l’attachement aux personnages et la tendresse qui s’en dégagent (entre eux, mais aussi entre l’auteur et eux et entre eux et le lecteur) compensent cette faiblesse.
Mais la chose que je reproche le plus à la série, cette habitude (qui n’est pas l’apanage de l’auteur) de proposer des récits alternés afin de faussement dynamiser un récit, pensant, à tort, qu’une intrigue linéaire est forcément faible et peu exaltante, est ici encore plus présente, car ce n’est plus deux, ni trois, mais bien quatre points de vue qui s’alternent au fur et à mesure de la lecture.
Heureusement, encore une fois, Nicolas Lebel, bien qu’il se laisse gagner par cette mode issue du manuel « Comment écrire un roman policier pour les Nuls », a au moins l’intelligence de faire dans la concision lorsqu’il développe les points de vue extérieurs aux personnages de l’enquête.
Certes, c’est un procédé qui peut ne pas gêner certains lecteurs, mais, pour ma part, j’ai beaucoup de mal, surtout qu’il est souvent utilisé de façon fallacieuse et qu’il n’apporte pas grand-chose si ce n’est cette fausse impression de dynamisme du fait que, tombant sur le chapitre dédié au récit subalterne, le lecteur n’a qu’une hâte, passer au suivant pour retrouver ses personnages préférés.
Alors, je veux, d’une part, rassurer les auteurs d’aujourd’hui et d’autre part, leur apporter une information :
1) Non, un récit linéaire n’est pas forcément peu exaltant et inintéressant. Il faut juste plus de talent pour parvenir à subjuguer un lecteur sans les artifices des récits alternés.
2) Non, le développement d’une intrigue via des récits alternés n’est pas l’apanage des auteurs d’aujourd’hui, il est presque aussi vieux que le roman policier lui-même.
Et j’en profite, également, pour prévenir que je ne suis pas phobique du récit alterné, juste, je n’aime pas quand il est utilisé sans autre but que de tenter de rendre une intrigue haletante.
Quand il est utilisé pour apporter des informations (passé d’un des protagonistes, pensée d’un des protagonistes, ou, pourquoi pas, sans aucun but précis), cela ne me dérange pas (sauf dans le cas « sans aucun but précis »).
C’est juste que je constate, ces dernières années, l’omniprésence, dans les romans policiers actuels, de cette structure narrative, tout comme je constate que bien des tics d’écriture sont repris de roman policier en roman policier par tous les auteurs, laissant penser que ce fameux manuel « Comment écrire un roman policier pour les Nuls » existe vraiment et qu’il est mis à disposition de tous les auteurs de romans policiers actuels. Et ça, ça m’agace.
Sinon, malgré ces quelques défauts (humour moins marqué, structure narrative alternée), Nicolas Lebel parvient encore une fois à me séduire avec son histoire et ses personnages ce qui semble confirmer que l’auteur a un indéniable talent.
Mais Nicolas Lebel est également un auteur sadique puisqu’il laisse le lecteur sur rebondissement final, certes, attendu, indéniablement redouté, et qui ouvre sur le prochain épisode qui sera, assurément, très très attendu... du moins, par moi, mais pas que.
Au final, ce roman est dans les veines des précédents de la série et l’on prend plaisir à retrouver les personnages et à les voir évoluer à travers une intrigue peut-être un peu trop prétexte pour évoquer des évènements dramatiques et historiques d’hier et d’aujourd’hui.
P.S. Monsieur Nicolas Lebel, ce n’est pas très très gentil de nous laisser ainsi dans une telle attente !