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Loto Édition
28 février 2021

L'assassinat du Marquis

IKO0

Dans l’esprit de beaucoup de lecteurs d’aujourd’hui, un écrivain, c’est un homme ou une femme qui publie un roman par an et dont le nom est connu de tous ou presque.

C’est une personne dont le visage orne, si ce n’est la 1re de couverture, pour les plus célèbres ou les plus égocentriques, au moins la 4e de couverture.

Mais fût un temps, écrivain, avant d’être un métier public était un métier pour le public, où le texte de l’auteur était plus mis en avant que son nom et où, d’ailleurs, bien souvent, son nom se cachait derrière de multiples pseudonymes.

C’était un passeur de prose, un conteur d’aventures, un livreur de sentiments, une personne au service du lecteur dont le travail était de permettre à ceux-ci de passer de bons moments, de se divertir, de voyager, grâce aux mots qu’il couchait sur papier.

Ces auteurs-là, même s’ils pouvaient parfois le regretter, n’étaient pas reconnus de leurs vivants (à part quelques exceptions) et écrivaient parce qu’ils étaient écrivains et non pour devenir riches et célèbres…

Bon, j’idéalise un peu, mais, même si je grossis le trait, le constat n’est pas faux.

Ceux-là n’écrivaient pas un roman par an, pour vivre de leur plume, mais des milliers de lignes chaque jour de leur vie. Leur bibliographie ne comptait pas quelques dizaines d’ouvrages au mieux, mais des centaines… des milliers.

Ces auteurs de la littérature populaire d’hier méritaient leur statut d’écrivains bien plus que bien des auteurs de Best Sellers d’aujourd’hui.

Et pourtant, qu’il est difficile à l’heure actuelle de les extirper d’un anonymat qu’ils n’ont pas mérité.

Parmi ces écrivains inlassables, plusieurs noms méritent de sortir du lot. Mais un plus que les autres : José Moselli.

Parce que José Moselli fut surnommé « L’écrivain sans livre », son travail fut encore plus sous-estimé que celui de ses confrères.

Effectivement, travaillant principalement pour les magazines de son époque, il livrait chaque semaine, une page d’aventures aux lecteurs avides, bien souvent des lecteurs jeunes à la recherche de dépaysement, d’action, de voyages.

José Moselli, sous ce nom ou quelques pseudonymes (Jacques Mahan, Pierre Agay…) développa de nombreuses séries, fit vivre des aventures à bien des héros, abreuva la jeunesse, mais pas que, de son époque d’aventures épiques durant des années, des décennies.

José Moselli œuvra principalement dans le genre « aventures » même s’il est désormais plus connu pour certains récits d’anticipation.

Et, même quand ses personnages étaient des policiers (privés), comme Jean Flair, Iko Terouka, M. Dupont… ou des bandits tels John Strobbins ou le baron Stromboli, son « travail » les amenait toujours à voyager.

Car José Moselli fut un bourlingueur.

Dès l’âge de 13 ans, il fugua de chez lui pour s’engager comme mousse sur un navire.

Il fut déserteur, puis officier de la Marine Marchande, jusqu’au jour où il eut envie de se stabiliser et accepta un poste de journaliste pour une rubrique sur l’actualité maritime.

Il se mit alors à écrire des contes avant de se faire engager par les éditions Rouff, notamment pour son feuilleton « W... vert » qui parut dans le magazine « L’Intrépide » (mais même cette publication donna lieu à une drôle d’aventure).

C’était en 1910.

Peu de temps avant paraissait dans « Le Petit Illustré » le feuilleton « Les aventures d’un jeune policier ». La série dura jusqu’en 1917 avant, comme beaucoup d’autres de l’auteur, d’être rééditées entièrement ou partiellement en fascicules dans la « Collection d’Aventures » des Éditions Rouff.

Ce premier feuilleton pose déjà le genre des aventures à la sauce Moselli bien que le style, la plume, ne soit pas encore assez affirmés et que l’ensemble soit un brin naïf (même comparé à l’époque).

Viendra ensuite le premier bandit de Moselli : John Strobbins, un cambrioleur, détective, justicier dont les aventures furent publiées dans « L’Épatant » entre 1911 et 1933 avant d’être partiellement rééditées dans la « Collection d’Aventures » et aussi, et avec de nouvelles aventures, dans la collection « Les grandes aventures policières » en 1930

Dans le même temps, très rapidement, le baron Stromboli voyait le jour. Ses aventures parurent dans « L’Inédit » en 1912 avant d’être regroupées en deux fascicules dans la « Collection d’Aventures » en 1916.

Mais le premier personnage récurrent, policier d’envergure est incontestablement Iko Terouka. C’est également le plus endurant puisque ses aventures s’étalèrent dans le magazine « Le Petit Illustré » entre 1912 et 1935.

Pour suivre l’intégralité des aventures du détective japonais, il faudrait réunir près de 800 numéros du magazine à raison d’une à deux pages de prose illustrées par magazine. Un travail de Titan.

Rien que le tout premier épisode de ces aventures, celui qui nous intéresse aujourd’hui, nécessite de regrouper 48 numéros du magazine pour un texte qui, au final, avoisine les 40 000 mots.

Suivrons une quarantaine d’enquêtes menant Iko Terouka à travers le monde.

L’ASSASSINAT DU MARQUIS

Le juge d’instruction Mercier, chargé de l’enquête sur la mort du marquis de Jarmier n’a aucun doute sur l’identité de l’assassin. Tout accuse son intendant Pierre Gormas. Malgré ses protestations, le suspect est arrêté.

Mais un Japonais qui dit s’appeler Iko TEROUKA et être un détective sur la piste des tueurs du richissime comte d’Osugawa se présente au magistrat et lui annonce que Gormas est innocent et qu’il se fait fort de retrouver le coupable.

Le lendemain, le juge Mercier reçoit la visite d’un autre homme prétendant être le véritable Iko TEROUKA

Iko Terouka, le célèbre détective japonais, est à la poursuite de Friedrich Spieder et de son neveu Kleinbote qui ont assassiné le comte Osugawa pour s’approprier ses bijoux.

Mais les deux hommes sont malins et savent le détective à leur trousse aussi vont-ils tout faire pour lui échapper ou le neutraliser…

José Moselli ne prend pas la peine d’introduire son personnage, de le dépeindre lentement, de lui offrir une histoire, un passé… il entre directement dans le vif du sujet dès les premiers mots.

À peine propose-t-il aux lecteurs un encart pour expliquer la situation :

Iko Terouka, bien qu’il soit le premier policier du monde, est peu connu en France. Cela tient à ce que ses principaux exploits ont été accomplis en Extrême-Orient. Il a fallu l’affaire de la bande des O, qui obligea Iko Terouka à venir dans notre pays, pour faire parler de lui. Et encore, on en parla peu. Iko Terouka n’aime pas qu’on parle de lui ; personne, d’ailleurs, ne peut se flatter de connaître sa véritable physionomie. Tantôt, le « démon jaune » – ainsi que l’ont surnommé les Japonais, à l’aspect d’un mendiant ; le lendemain, il est transformé en grand seigneur ou en mécanicien de chemin de fer… à moins que ce ne soit en jeune fille. Sa lutte avec le terrible Friedrich Spied, qui l’obligea à faire le tour du monde et accomplir des prouesses prodigieuses, lui valut d’être décoré du Chrysanthème d’or par le gouvernement japonais. Nos lecteurs verront que cette récompense fut amplement méritée. Mais, commençons par le commencement !

On n’en saura pas plus sur la bande des O, ni sur la jeunesse de Terouka, les raisons qui l’ont poussé à devenir détective. Tout ce que l’on apprendra d’Iko Terouka, ce sont ses aptitudes hors normes qui en font un grand détective.

Car Iko Terouka, parle toutes les langues (ou presque) connaît tous les pays, les coutumes… il maîtrise le Jiu-Jitsu, est fort, courageux, honnête, intelligent, résistant, dur au mal, court vite, fait preuve d’agilité, nage très bien, est persévérant, perspicace et, surtout, comme tout bon héros, a beaucoup de chance…

L’histoire débute par l’assassinat du Marquis de Jermier et du vol de ses bijoux. Son intendant, Gormas, est accusé et arrêté pour ce crime. Il faut dire que tout l’incrimine. C’est son fusil qui a servi à tuer la victime, Gormas n’a pas d’alibi, prétendant qu’on lui avait donné un rendez-vous au moment du meurtre, mais que personne n’est venu…

Iko Terouka se rend alors chez le juge Mercier pour lui dire qu’il fait une erreur. Il est à la poursuite des assassins du comte Osugawa et cette chasse la conduite dans le coin. En lisant l’affaire de l’assassinat du marquis de Jermier dans les journaux, il a deviné l’innocence de Gormas que tout accuse. Le juge l’incite alors à enquêter.

Bientôt, un second Iko Terouka se pointe chez le juge Mercier, pour les mêmes raisons… et c’est le début d’une course-poursuite entre Iko Terouka et Kleinbote et Spieder. Chasse qui se poursuivra sur plus de 38 000 mots, à travers la France et l’Afrique du Nord. Sur terre, sur la mer et dans le désert…

Chacun croira avoir distancé l’autre… chacun pensera s’être débarrassé de l’autre… et, à chaque fois, la poursuite reprendra.

Cette première aventure ne fait pas dans la dentelle, ce n’était d’ailleurs pas l’intention de l’auteur. Car José Moselli sort les grosses ficelles pour rythmer ses récits. Déguisements multiples, pièges, chance, hasard… tout y passe.

Iko Terouka est capturé par Spieder, mais il s’échappe. Spieder est arrêté par Terouka, et c’est la grande évasion…

Les coups de feu, de poignard, les explosions, les poisons… tout est bon pour se débarrasser du détective.

La chance, les connaissances médicales, l’art des fakirs, rien n’est de trop pour contrecarrer les attentats de l’ennemi…

Et cette poursuite incessante ne s’arrête que pour mieux reprendre.

Certes, l’auteur ne fait pas dans la subtilité, mais il livre aux lecteurs ce qu’ils attendent de lui, des aventures trépidantes et dépaysantes.

Le lecteur aura ainsi le droit à des personnages de paysans, d’anglais opulents, de Bédouins, de gendarmes… des voyages en voiture, en train, en paquebot, à dos de chameau… il visitera les campagnes françaises comme les déserts Égyptiens… Et, quand il croira que l’aventure s’arrête, elle reprendra de plus belle.

Un peu naïf, comme littérature, pour les lecteurs d’aujourd’hui, certes, mais c’est aussi ce qui fait le charme du personnage, de la série, de José Moselli.

Et, on pourra également prendre les aventures d’IKo Terouka comme pierre d’achoppement de la série qui naîtra quand celle-ci arrivera proche de son terme, en 1935, pour le compte du magazine « Le Cri-Cri » : « M. Dupont détective ».

Cette nouvelle série reprendra les codes de la première en proposant un détective qui voyage à travers le monde pour ses enquêtes, qui est le roi du déguisement, qui est fort, courageux, perspicace… mais en y apportant quelques nouveautés qui feront tout son charme : un héros un peu plus atypique avec son physique et son attitude de fonctionnaire et le fait qu’il soit épaulé par son jeune valet noir…

« M. Dupont détective », moins naïf dans son développement et son style mais tout aussi trépidant dans son rythme et son dépaysement n’aura alors pour seul défaut que sa concision puisqu’elle ne s’étalera que sur un an et demi et proposera seulement 6 enquêtes.

Au final, les aventures d’Iko Terouka peuvent souffrir d’une naïveté propre à son époque (accentuée par le fait que ce qui était moderne est devenu archaïque), mais font preuve d’un dynamisme et d’un rythme continuel tout en faisant voyager à travers le monde du début du siècle dernier.

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