Suzanne et les ringards
Jean-Bernard Pouy est un génie !
Bon, ça, je le clame à chaque fois que je parle de l’auteur et je ne suis pas le seul à le dire.
Mais Jean-Bernard Pouy n’est pas du genre des génies à produire un nombre restreint d’œuvres géniales, mais de celui de produire énormément d’avoir des idées à profusion, de les partager, de les offrir, voire, de les livrer même incomplètes, même si ce n’est pas dans le meilleur écrin.
Jean-Bernard Pouy, de livre en livre, ne cesse d’inventer des personnages intéressants, originaux, attachants, de multiplier les références, cinématographiques, musicales, littéraires… et de jouer avec les mots…
Bref, Jean-Bernard Pouy est un génie. Et, si vous ne le connaissez pas, sautez sur le premier livre de l’auteur que vous croiserez. Et si vous n’aimez pas ce livre, sautez sur le second livre. Et si vous n’aimez pas, sautez sur le troisième. Et si vous n’aimez pas, alors, je ne peux plus rien pour vous.
Suzanne et les ringards :
Le visage reflète l’âme, on le dit. Le mien est monstrueux même si, intérieurement, je reste propre. Le rock, la route, les bagarres, les groupies me laissent indifférent. Mais Suzanne vient mourir dans ma chambre. Son jeune visage va me hanter longtemps…
Charles-Émile GADDE alias Dumbo, est un roadie, ces gens qui parcourent les routes en marge des tournées de concerts pour transporter le matériel de sono. Son surnom, il le doit à son visage ravagé par une tache de vin répugnante.
Chaque soir, après les concerts de Bande à Part, un groupe de rock émerge, il est chargé de choisir quelques groupies pour les conduire vers les membres du groupe pour « l’after », l’après-concert où les rockers se plongent dans la débauche : sexe, alcool, drogue.
Ce soir-là, Suzanne, une gamine de 18 ans, au visage angélique, supplie Dumbo de l’amener à la soirée. Elle n’a pas eu peur de son visage, ce qui le surprend et retient son attention. Il tente de la dissuader d’y aller, l’assurant que les musicos sont des salauds qui vont se servir d’elle et la jeter, mais elle lui répond qu’elle le sait, l’assume et veut juste vivre un moment intense dans avant de reprendre sa vie palote.
Dumbo cède.
Le lendemain matin, le corps sans vie de Suzanne est retrouvé dans la baignoire de sa chambre d’hôtel.
Dumbo a un alibi et la police ne l’inquiète pas trop, d’autant qu’ils trouvent le suspect idéal en la personne d’un jeune turc travaillant pour l’hôtel. Il suffit de le bousculer un peu pour qu’il avoue tout ce que l’on veut : le meurtre, en l’occurrence.
Mais Dumbo ne croit pas à la culpabilité du jeune homme et suspecte, plutôt, un des membres du groupe ou tous, pourquoi pas.
Incité par un policier à profiter de sa situation pour surveiller.
Mais le Turc meurt en prison, l’affaire est classée… pas pour Dumbo.
« Suzanne et les ringards » est un court roman (même pas 35 000 mots) publié en 1985 dans la mythique collection « Série Noire » des éditions Gallimard.
Jean-Bernard Pouy nous livre un récit composé de deux histoires, de deux personnages, finissant par se croiser. Celle de Dumbo, le « roadie » en quête de justice, et celle de Valérie, une jeune actrice en plein succès qui, suite au décès de son mentor et mari dans un accident de voiture, décide de fuguer et de disparaître afin de se retrouver.
J.B. Pouy s’attarde principalement sur Dumbo, à travers une narration à la première personne.
Quant à la petite part dévolue à l’actrice, elle est narrée à la troisième personne.
Comme souvent, l’auteur compose un personnage central intéressant, attachant, complexe et original. Dumbo, de par son infirmité visuelle, fait fuir les autres et fuit, de son côté, une société qui lui déplaît. Ancien contestataire, condamné à la prison, il constate, à sa sortie, que ses anciens partenaires de lutte sont non seulement rentrés dans le rang, mais en plus, le rejette.
Alors, il se plonge tête baissée dans son boulot, distribuant les beignes, lors des concerts, pour assurer le service de sécurité, chargeant et déchargeant le matériel, passant ses nuits sur la route pour transporter le matos d’une ville à une autre.
Dans ce monde nocturne, une seule amie, Lucie, chargée de la sono et des balances, une jeune femme au physique de sumo, une taiseuse, la seule dont le regard ne fuit pas son visage.
Il partage généralement la route, avec elle, la nuit.
J.B. Pouy, dans ce récit, semble avoir un peu le cul entre deux chaises.
Il semble évident qu’il a envie de parler de normes, mais, surtout, d’anormalité, des êtres que l’on rejette pour une particularité physique.
Dumbo, pour son visage, Lucie pour son obésité.
Pour mieux mettre son sujet en profondeur, il trace en parallèle le portrait de la beauté par excellence à travers le personnage de la jeune actrice.
Certes, on pourrait réduire le récit à l’histoire de la belle et la bête, mais Pouy s’intéresse si peu à la belle qui n’est là, apparemment, que pour contraster avec le personnage de Dumbo et offrir un rebondissement un peu facile vers la fin du récit.
D’ailleurs, ce second personnage est délaissé par l’auteur à tel point que, non seulement les chapitres qui lui sont dédiés sont très courts, mais en plus narrés d’une manière impersonnelle.
Dommage, d’ailleurs, que Pouy n’ait pas supprimé tout simplement ce personnage secondaire pour se concentrer plus sur Dumbo et approfondir son traité sur la différence un brin trop superficiel alors que l’on sent, dans le texte, qu’il importe beaucoup à l’auteur.
Car l’intrigue qui permet au personnage d’évoluer est elle-même traitée avec légèreté par l’auteur. Simple, prévisible, sans réel intérêt, unique prétexte à permettre à Dumbo d’avoir une quête que l’auteur peut raconter.
Dans le style aussi, J.B. Pouy se perd un peu. On sent qu’il a envie de jouer avec les mots, comme il le fait toujours ou presque, mais, d’un autre côté, on a l’impression d’une certaine retenue ou bien qu’il ne sait pas trop dans quel contexte les placer. Dans la part dévolue à Dumbo ? À l’actrice ?
Un mauvais roman de J.B. Pouy alors ? Non, même pas ! En existe-t-il d’ailleurs un ?
Non, J. B. Pouy, c’est pour le lecteur que je suis un peu ce que Jackie Chan était jusqu’à il y a quelques années pour l’amateur de films de Kung Fu de Hong Kong.
Dans tous les films de Jackie Chan, il y avait toujours des combats, des cascades, qui méritaient de regarder le film même s’il n’était pas très bon.
Dans tous les romans de J.B. Pouy, il y a toujours quelque chose, un style, des passages, des personnages, qui méritent qu’on lise le roman même s’il n’est pas excellent.
Et à chaque fois, même si durant la lecture, je ne suis pas excessivement emballé, non seulement je n’abandonne jamais, mais, en plus, j’ai toujours, a posteriori, une bonne impression qui demeure. C’est la magie Pouy, car J.B. Pouy est un génie.
Au final, un personnage qui méritait mieux, plus. Une meilleure intrigue, plus d’attention. Un roman un peu bancal du fait que l’auteur semble demeurer entre deux histoires, deux styles, deux idées. Dommage.