Les nuits de Portinfern
Dans le monde de la littérature populaire, il existait une passerelle de la taille du Golden Gate entre le métier de journaliste et celui d’écrivain.
Bien souvent, les futurs auteurs se faisaient la plume sur des articles avant de se lancer dans des récits de fiction.
Le nombre de ces « transhumants » est impressionnant et en faire une liste exhaustive serait impossible.
Je citerai volontiers Rodolphe Bringer, Henry Musnik, André Chapentier, allant jusqu’à Louis Roubaud (plus journaliste qu’écrivain).
Je puis depuis peu rajouter Élie Louis Richard, né en 1885, journaliste, notamment pour Paris-Soir pour lequel il fut envoyé spécial en Espagne (entre autres), mais également poète, écrivain (turfiste convaincu) et éditeur.
Comme à chaque fois, quand faire se peut, je découvre un auteur et sa plume par l’intermédiaire d’un de ses personnages récurrents, ici, le commissaire Jean-Marc Rombal.
Jean-Marc Rombal apparaît dans la « Collection Rouge » des éditions Janicot, en 1943, dans un fascicule de 16 pages, double colonne : « Un éclair à l’as ».
Alors brigadier, surnommé le Brigadier Gris, il prendra vite du galon pour devenir commissaire.
On retrouve plusieurs enquêtes de Rombal dans cette même collection.
« Les nuits de Portinfern » a été publié également en 1943.
LES NUITS DE PORTINFERN
Le commissaire spécial ROMBAL, alias « Le brigadier gris » est convoqué par le major Lamberty, dans son appartement de Béthune, pour lui demander d’enquêter sur des faits mystérieux se déroulant au Manoir de Portinfern, sur l’île de Jersey où il vit la plupart du temps avec sa femme, surnommée « La Dame de Portinfern » et de nombreux domestiques.
D’abord, ce fut la mort d’une gouvernante, écrasée par la chute d’une porte de l’enceinte. Ensuite, la rupture des câbles du pont au moment où la voiture de la Dame y pénétrait. Puis, de menus incidents.
Le commissaire ROMBAL ne voit là guère plus que des malheureux hasards, mais il va changer d’avis quand, en quittant le bureau de son hôte, un lourd tableau accroché au mur lui choit sur la jambe.
Après une courte hospitalisation, il décide de poursuivre sa convalescence au grand air iodé de Jersey… afin de se plonger dans l’ambiance, pour le moins étrange, de Portinfern…
Un ami du commissaire Rombal lui demande de rencontrer le major Lamberty, une connaissance, afin de l’aider, éventuellement, à résoudre son problème.
Se rendant dans l’appartement parisien du bonhomme, il rencontre un être étrange qui lui raconte avec volubilité que le Manoir de Portinfern, sur l’île de Jersey, où il habite la plupart du temps avec son épouse, surnommée La Dame de Portinfern, abrite quelqu’un qui leur en veut.
Une domestique est morte par la chute d’une lourde porte d’enceinte, les câbles d’un pont sur lequel passait la voiture de la Dame de Portinfern se sont rompus…
Mais Rombal a du mal à croire à ces histoires. Pourtant, quand il sort du bureau, un lourd tableau lui tombe dessus et le blesse à la jambe.
Après quelques jours d’hôpital, il décide de passer sa convalescence sur l’île de Jersey afin de se faire une idée plus précise. Mais il va vite se rendre compte qu’aussi bien la major Lamberty que la Dame de Portinfern sont des êtres étranges aux avis fluctuants…
On a découvert dans les précédents épisodes que Élie Richard, plus qu’un récit ou des personnages, aimait développer des ambiances (souvent au détriment des deux éléments précédemment cités).
C’est une nouvelle fois le cas dans ce titre avec, cette fois, pour cadre, l’île de Jersey.
Mais, plus que l’île et ses habitants, c’est surtout aux habitants de Portinfern, qu’il s’intéresse, et à la drôle d’ambiance du Manoir où tout le monde semble cacher quelque chose.
Dans un récit un peu plus long que les précédents (15 000 mots au lieu de 12 000), Élie Richard développe donc son récit et son intrigue de manière à ce que Rombal soit le témoin à la fois des coutumes de l’île et des habitudes du manoir.
Il dépeint alors, plus qu’un cadre, des personnages étranges, notamment le couple disparate que forme la Dame de Portinfern et le major Lamberty. Les deux ne cessant d’alterner entre accusations de folie ou de tentative de meurtre.
Mais n’est pas le plus fou des deux celui qui le croit et il faut bien dire que le major semble avoir un sévère pète au casque.
Le lecteur assiste donc aux agissements et aux dires des divers protagonistes sans jamais savoir à quoi s’en tenir sur l’un ou sur l’autre.
D’ailleurs, il faut bien avouer que le récit est un peu embrouillé et que l’intrigue, une nouvelle fois, malgré une volonté de la complexifier, s’avère être simplissime.
Pourtant, et malgré la taille plus longue, une nouvelle fois, l’auteur a du mal à respecter le format et le lecteur a l’impression que ce dernier a dû exercer des coupes drastiques pour entrer dans le moule.
On notera que, tout comme dans « Sang de Séville », où l’auteur semble s’être inspiré de son expérience d’envoyé spécial pour un journal en Espagne, ici aussi, il a dû puiser son inspiration, du moins pour la description de l’île et de ses habitants, d’un article qu’il écrivit sur les lieux en 1929 : « Débarquement sur l’île du Soleil ».
Pour le reste, on en apprend un petit peu plus sur le commissaire Rombal, qu’il a 55 ans, qu’il écrit des souvenirs de carrière pour un journal.
Par contre, on a du mal à saisir s’il est encore en activité ou s’il travaille désormais pour son compte. Tout laisse à penser à la seconde solution, mais il est toujours nommé « commissaire spécial ».
Au final, un récit un peu embrouillé par moment qui vaut principalement pour l’ambiance étrange d’une île, d’un Manoir, d’un couple et dont l’enquête est résolue un peu vite, sans réel indice formel, par manque de place et de maîtrise du format.