On frappe dans l'ombre
Étant passionné de littérature populaire policière fasciculaire, c’est une évidence, pour moi, de m’intéresser aux éditions Ferenczi.
Certes, ce n’est pas le seul éditeur à avoir proposé ce format et ce genre aux lecteurs du siècle dernier, mais c’est l’un des tout premiers, si ce n’est le premier.
Effectivement, Ferenczi s’est lancé à corps perdu dans cette dualité genre/format à partir de 1907 et la série « Marc Jordan » créée pour concurrencer les traductions des aventures de Nick Carter qui déferlaient sur l’Europe.
Depuis lors et jusqu’à la fin des années 1950, les éditions Ferenczi ne cessèrent de proposer ces fascicules particuliers par centaines, par milliers, mettant en place des collections devenues depuis cultes.
Alors, on pourra reprocher à l’éditeur d’avoir gonflé artificiellement sa production en rééditant un grand nombre de titres, mais, on le louera pour toutes ses collections policières qui, à partir de 1916 et « Le Roman Policier » jusqu’à « Feu Rouge » à la toute fin des années 1950, ravirent un public friand de cette paralittérature.
Et c’est dans cette première collection « Le Roman Policier » que l’on découvre les premiers enquêteurs récurrents hors-séries (c’est-à-dire dont les aventures ne sont pas identifiables autrement que par la lecture et sont mélangées à celles d’autres personnages nés de la plume d’autres auteurs).
Dans cette collection, dont les magnifiques illustrations de couverture sont signées Gil Baer, on compte plusieurs « récurrents » dont le 4e, dans l’ordre de parution, est le journaliste Léonce Capoulin créé par Amaury Kainval, un pseudonyme derrière lequel se cache Émile Quintin (1885-1966).
La première aventure du reporter date de 1919. Il en vécut 6 dans cette collection plus une 7e, quelques années plus tard, dans la collection « Police et Mystère » dans laquelle furent rééditées les aventures précédentes.
En 1947, Émile Quintin signe de son nom trois romans intégrant la collection « Les aventures fantastiques de Léonce Capoulin ».
« On frappe dans l’ombre » est un fascicule de 32 pages paru en 1922, réédité en 1936.
C’est la 6e aventure du reporter.
ON FRAPPE DANS L’OMBRE
Le jeune journaliste Jouny est chargé d’enquêter sur la découverte d’un corps égorgé sur le quai des Murailles à Nantes.
Le cadavre a été retrouvé par des gamins entre des billes de bois entassées leur servant de terrain de jeu.
La police se perd en conjectures.
Jouny n’ayant aucun indice pour le guider, décide de faire appel à la sagacité de son collègue Léonce CAPOULIN.
Le célèbre reporter, s’appuyant sur les seuls éléments indiscutables de l’affaire, va tenter d’échafauder diverses hypothèses jusqu’à trouver celle que rien ne peut remettre en cause et qui sera, assurément, la bonne !...
Le célèbre reporter Léonce Capoulin accepte d’aider son jeune collègue Jouny à éclaircir le meurtre d’un homme dont le corps a été découvert par des gamins entre des billes de bois entassé sur un quai Nantais.
Ayant très peu d’indices à se mettre sous la dent, il décide d’échafauder diverses théories en les soumettant à l’examen de ces rares éléments jusqu’à trouver celle dans laquelle toutes les pièces rentrent parfaitement.
Dans cette 6e aventure… point d’aventure.
Dans cette 6e enquête… point d’enquête… du moins, dans le sens classique et policier du terme.
Amaury Kainval prend le parti d’élaborer son récit quasiment sur la seule réflexion de son personnage et sur son émission de diverses hypothèses jusqu’à trouver celle que les rares indices ne peuvent mettre à mal.
Parti pris intéressant et louable, mais qui peut, pour certains lecteurs, devenir rapidement répétitif et redondant.
Il eût été préférable que l’auteur alterne les genres, un peu d’enquête, un peu d’action, un peu de réflexion.
Ce n’est pas le cas ici, car, après une scène d’ouverture présentant la découverte du corps par deux gamins, l’auteur enchaîne avec les réflexions d’un Léonce Capoulin sollicité par un gamin.
À partir de là, le seul moment de respiration jusqu’à la fin se trouve dans le rapport que fait Goriot, un des limiers de Capoulin, sur une recherche que son maître lui a demandé de faire.
La gouaille du jeune homme est rafraîchissante et source de sourire, permettant un peu de changer d’air avant de reprendre les réflexions du journaliste.
Et, effectivement, la démarche, si discutable soit-elle, (plusieurs évènements différents pouvant expliquer ou justifier un même acte et cadrer avec les mêmes indices) est intéressante et bien mise sur le papier avant de frôler l’indigeste à force de répéter les idées et les éléments.
Alors, à la décharge de l’auteur, cette sensation est peut-être accentuée dans la réédition de 1936 sur laquelle s’appuie ma chronique.
Car, la version d’origine, si je me fis aux autres épisodes datant des années 1920, doit probablement s’étaler sur une quinzaine de milliers de mots là où la réédition, pour coller au format 64 pages, a été augmentée d’environ un tiers pour flirter avec les 20 000 mots.
Cette légère réécriture a dû se faire dans l’urgence, comme toujours dans cette paralittérature, et peut-être l’auteur s’est-il volontairement répété pour combler les trous, accentuant un peu cette sensation de redondance.
Toujours est-il que, malgré cette légère indigestion et le procédé discutable d’un point de vue de l’efficacité, l’ensemble se lit plutôt agréablement, en partie grâce à la trop courte présence de Goriot.
Au final, un récit intéressant dans son histoire, sa narration, son parti pris, bien qu’un peu redondant par moments.