Adieu Poulet !
Voilà une tâche bien risquée que de lire un roman bien après avoir vu et apprécié jusqu’à la démesure l’adaptation cinématographique qui en a été faite.
Généralement, quand faire se peut, il vaut mieux tenter l’inverse, lire le roman puis voir le film. Cela augmente les possibilités que vous aimiez les deux versions.
Ainsi, j’ai adoré le roman « Les rivières pourpres » de Jean-Christophe Grangré et plus encore le film que Matthieu Kassovitz en a tiré même si le second est moins foisonnant que le premier.
Dans le cas particulier du roman « Adieu Poulet ! » de Ralph Vallet, publié dans la mythique collection « Série Noire » des éditions Gallimard en 1974, il était évident que je courais à la catastrophe littéraire.
En effet, le film de Pierre Granier-Defferre est gravé à tout jamais dans ma mémoire.
Déjà, parce qu’il s’agit d’un très bon film. Ensuite et surtout parce que je suis un fan inconditionnel de l’acteur Patrick Dewaere (je serais tenté de dire : « comme tout le monde ») et que j’apprécie énormément l’acteur Lino Ventura (« comme beaucoup de monde »). Enfin, parce que j’ai vu ce film plusieurs fois et que je l’ai chaque fois apprécié plus que la précédente.
Pourtant, j’avais hâte de découvrir l’original et, quand, enfin, je tombais dessus (45 ans après sa parution), je ne tardais pas à me plonger dans cette lecture.
Alors, ai-je autant apprécié le roman que le film ? Vous le saurez bientôt (quel suspens insoutenable).
Pour rappel, Ralph Vallet, de son vrai nom Jean Laborde (1918 - 2007) était un journaliste et chroniqueur judiciaire qui, en parallèle, écrivait des romans policiers et d’espionnage.
Plusieurs de ses romans ont été adaptés au cinéma dont « Pouce » (qui donna « Le Pacha » avec Jean Gabin), « Mort d’un pourri » (film éponyme avec Alain Delon) et « Adieu Poulet ! » (Lino Ventura et Patrick Dewaere)… rien que ça !
Il fut également scénariste et dialoguiste (notamment sur « Peur sur la ville » avec J.P. Belmondo).
Adieu Poulet !
Résigné, le Commissaire Verjeat ne l’était pas. Réputation de fonceur, méritée, de héros pour panoplie, ce qui arrangeait la publicité de la Maison Poulaga. Et voilà qu’on allait lui faire porter le chapeau, de certaines « légèretés » qu’il était loin d’être le seul à avoir commises. Alors Verjeat passa le Rubicon de la respectabilité officielle, cette farce parfois drôle et souvent sanglante.
Le commissaire Verjeat, un As venu de la Mondaine, respecté de tous pour ses coups d’éclat, va bientôt tomber. Il le sait, ses jours sont comptés, on veut sa peau en haut lieu, se servir de lui comme d’un exemple pour condamner les pratiques d’un autre monde, celui de flics qui plongeaient les mains dans la fange pour nettoyer les bas-fonds et qui, parfois, copinaient un peu trop avec certains truands.
Mais le commissaire Verjeat n’est pas décidé à faciliter la tâche à tous ces juges et politiciens qui malgré leurs airs d’honnêtes hommes sont souvent pires que ceux qu’ils font condamner.
Aussi, le commissaire Verjeat avance-t-il ses pions en joueur d’échecs expérimenté afin de mettre mat la magistrature et la société et, pourquoi pas, s’assurer une retraite dorée.
Difficile, en débutant ma lecture, d’empêcher mon esprit d’imposer la vision de Lino Ventura et de Patrick Dewaere sur les personnages du commissaire Verjeat et de l’inspecteur Maurat et ce d’autant plus que la scène liminaire a été reprise presque à la virgule dans l’adaptation cinématographique (du moins, d’après mes souvenirs, il y a longtemps que je n’ai pas revu le film).
Cette superposition, si elle est plaisante, a tout de même quelque peu nui à ce début de lecture, une nuisance amplifiée par un style manquant de fluidité…
En effet, l’auteur a un tic d’écriture daté, celui d’alourdir ses descriptions de « qui était ».
Il le traîna dans la pièce voisine qui était un living éclairé par une lampe pendue au plafond.
Norbert allait chez l’Auvergnat qui était copain avec Lerot.
Verjeat fit amener Norbert dans son bureau qui était une pièce de dimensions moyennes..
— Pas aujourd’hui, dit-elle en regardant la moto qui était une Susuki 500 cm3.
Désormais, un auteur remplace volontiers le « qui était » par une simple virgule, allégeant ainsi son texte.
Évidemment, ce n’est pas le seul tic de l’auteur ni sa seule lourdeur de style. Rien de rédhibitoire pour autant, mais un peu gênant tout de même.
Heureusement, serais-je tenté de dire, Pierre Granier-Defferre (ou les producteurs de l’adaptation cinématographique) ont fait le choix de gommer un peu (beaucoup) l’aspect politique et contestataire du roman, prenant des libertés avec l’histoire originelle et s’éloignant ainsi du récit de Ralf Vallet et du personnage originel de Verjeat.
Heureusement, dis-je, à ce moment, pour le lecteur que j’étais après avoir été spectateur du film.
Ainsi, les images de Lino Ventura et de Patrick Dewaere s’estompaient au fur et à mesure que les deux histoires s’écartaient l’une de l’autre, me permettant de m’immerger enfin dans une histoire bien plus intéressante et éminemment plus séditieuse.
De même que les profils des acteurs, les tics de langages semblaient également s’évaporer, permettant de profiter pleinement de ce roman qui se révélait alors très plaisant à lire et développant une intrigue très prenante.
À partir de là je pouvais apprécier les personnages et l’histoire pour ce qu’ils étaient et non pour ce que j’en avais vu à la télé.
Et il faut bien avouer qu’une fois ce cap passé, j’étais happé par une intrigue qui ne se contentait pas d’être intéressante, mais qui était, également, engagée. Engagée pour dénoncer la pruderie d’une magistrature qui s’offusque de certaines libertés des policiers, mais ferme les yeux devant les magouilles des politiciens de tous bords. Des juges qui s’acharnent sur des policiers pour ne pas avoir à s’occuper des puissants…
L’histoire est inspirée, probablement, du procès retentissant, en 1973, du commissaire Lyonnais Charles Javilliey (d’ailleurs, je trouve une assonance étrange entre le caïd que fréquentait Javilliey, Augé, et celui du roman, Alget), et des fameux juges rouges (comme dans le roman), s’acharnant sur le flic…
Bref.
« Adieu Poulet ! » ne se contente pas d’être un bon roman policier, il est également un roman engagé, dénonçant des faits, des actes, des intentions, d’un autre monde, maintenant, mais qui, au moment de sa sortie, résonnait avec l’actualité.
On se posera la question de savoir si l’on peut faire de la bonne police sans se salir les mains et copiner avec ceux que l’on est sensé arrêter tout comme, plus tard, on pourra se poser la question de la gestion des tontons, ces indicateurs si précieux que les policiers ferment les yeux sur leurs agissements.
Et, cerise sur le gâteau, en plus de tout cela, « Adieu Poulet ! » de Ralph Vallet est à l’origine d’un de mes films préférés !
Que demander de plus ?
Au final, une lecture perturbée, dans sa première partie, par le souvenir de l’adaptation cinématographique et d’un des meilleurs duos d’acteurs du cinéma français, ainsi quelques tics d’écriture, mais qui, rapidement, quand la version cinéma prend ses distances, devient captivante du fait d’une intrigue exaltante résonnant avec l’actualité de l’époque et tenue à bout de bras par le personnage fort de Verjeat.