Dans la littérature policière récente, il y a deux personnages récurrents trop méconnus dont j’aime suivre les aventures.
Le premier est le détective Thomas Fiera de Jean-Baptiste Ferrero.
Le second est le médecin Marcel Fortesse de Jean-Pierre Ribat.
Comme ça, au premier abord (et non au premier rat mort) les deux personnages et les deux auteurs n’ont rien d’autre de commun que le fait que j’aime découvrir les aventures des premiers et la plume des seconds.
Mais, si on y regarde bien, les deux hommes sont probablement de la même génération, ils ont un prénom composé débutant par « Jean », mais, surtout, ils manient l’humour et se servent de leurs personnages pour livrer des points de vues intéressants et pertinents sur la Société, les humains et plein d’autres choses encore.
Bien sûr, Jean-Baptiste Ferrero trempe sa plume dans l’humour noir et son héros se vautre dans la violence et la décadence quand Jean-Pierre Ribat manie plutôt l’humour salvateur, celui qui empêche de pleurer, et son personnage est un doux rêveur qui subit souvent plus les évènements qu’il ne les affronte.
Bref, j’aime à la fois découvrir les aventures de ces deux héros et si j’attends avec impatience la prochaine de Thomas Fiera, il me restait encore deux romans de Jean-Pierre Ribat à lire.
« Tout est dans l’âme », sorti en 2019, est la 5e aventure (et avant-dernière pour le moment) du médecin urgentiste Marcel Fortesse.
Tout est dans l’âme :
À la recherche d’un tableau perdu de Rembrandt, le docteur Marcel Fortesse – qui mène l’enquête entre deux patients – part sur les traces d’une jeune femme juive pendant la Seconde Guerre mondiale. Il y croisera un paralytique maître de l’univers (virtuel), des résistants et des collabos, un hacker obèse (et mort), une sonate de Mozart, un camp d’internement proche de Mantes-la-Jolie, des traîtres et des héros, une assistante sexuelle, un informaticien déjanté (OK, pléonasme) et un essaim d’abeilles consolateur.
Marcel Fortesse est maintenant en couple avec Lila, la belle peintre rencontrée dans le précédent épisode. Celle-ci a hérité d’une maison de la part de son ancien mentor et découvre, sous le plancher, le journal intime de la jeune Kitty, une ado juive au début de la Seconde Guerre mondiale. Elle apprend, dans les premières pages, que ses parents possédaient un Rembrandt dont la description ne correspond à aucune des œuvres connues du peintre.
Aussitôt, l’envie de retrouver ce tableau la pousse à découvrir la vie de cette jeune fille, mais quelqu’un d’autre a appris l’existence de la toile et cherche également à mettre la main dessus.
Je retrouvais donc avec hâte mon médecin préféré (après celui qui me soigna moi et ma famille durant des années avant de prendre sa retraite).
Mais mon plaisir fut de courte durée quand je constatais, très rapidement, que Jean-Pierre Ribat allait abuser d’un procédé qu’il avait déjà utilisé dans « V.I.T.R.I.O.L. », c’est-à-dire, une narration alternée entre le présent et le passé.
Ici, le présent est l’aventure de Marcel Fortesse et le passé est représenté par les pages du journal intime de Kitty.
Je dois le répéter pour ceux qui ne le savent pas, je ne suis pas loin d’abhorrer les récits alternés, car je préfère les récits linéaires et, surtout, rester en présence du héros plutôt que de suivre les aventures ou les mésaventures d’un personnage secondaire.
Aussi, quand une narration alternée se présente à moi, j’ai plutôt tendance à décrocher sauf si l’intrigue secondaire ne prend pas trop de place.
Mais, dans « Tout est dans l’âme », le journal de Kitty prend beaucoup de place (plus de la moitié du roman, il me semble), ce qui aurait été pour moi rédhibitoire s’il s’était agi du roman d’un inconnu et de l’aventure d’un personnage auquel je n’étais pas attaché.
Alors, pour Jean-Pierre Ribat, mais surtout pour Marcel Fortesse, j’ai poursuivi ma lecture, mais il faut dire que je n’y ai pas retrouvé tout le plaisir ressenti lors de la dégustation des précédents épisodes.
Déjà, le principe du journal intime m’irrite. Parce que l’auteur se trouve la plume entre deux genres. D’un côté, il est tenté de respecter le principe du journal intime, c’est-à-dire un entrelacs d’idées couchées sur papier sans forcément de cohérence, mais, surtout, sans recherche stylistique, ce qui en rend la lecture un peu pénible et d’autre part, celui de faire quand même de la littérature, car c’est avant tout un roman qu’il propose à ses lecteurs. En ressortent souvent des textes assez bâtards, car l’auteur n’a pu réellement choisir son camp.
Ensuite, il est difficile, quand tu es un homme à l’approche de la soixantaine, de se glisser dans la peau d’une ado de 16 ans qui écrit son journal intime. Cela l’est encore plus quand ladite ado vit à une autre époque que la tienne.
En résultent ici des chapitres un peu trop plats, avec des propos naïfs (normal pour une ado, me direz-vous. Oui, mais non) et tout un tas d’informations, de passages inutiles, inintéressants, voire fastidieux.
Malheureusement, les chapitres dédiés à Marcel Fortesse peinent à rehausser le niveau tant on sent que l’auteur est submergé par les propos qu’il tente de mettre en avant, par les évènements qu’il cherche à imager. La montée du nazisme, la Seconde Guerre mondiale, la chasse aux juifs, la coopération active d’une belle part de la population, la haine, le rejet, la violence…
L’auteur semble donc très ému parce qu’il cherche à écrire à la place de Kitty tout comme sont censés l’être les lecteurs du journal intime : Lila et Marcel Fortesse.
Du coup, l’humour est bien moins présent, ce qui retire à une partie du texte une légèreté qui aurait pourtant été bienvenue et qui était, jusqu’à présent, l’apanage de Marcel Fortesse.
Même les passages un peu surréalistes du livre peinent à être digestes alors que, dans les romans précédents, Jean-Pierre Ribat était parvenu à faire passer pas mal de choses du genre.
Enfin, la scène finale, ou, du moins, celle amenant à la révélation finale est peu crédible (je parle de celle évoquée dans le journal de Kitty).
Vous l’aurez donc compris, je n’ai pas été emballé par cette lecture et, si ce n’avait été une aventure de Marcel Fortesse, je l’aurai probablement interrompue avant la fin.
Dommage…
D’autant plus dommage que, en parcourant le dernier tome, « Le souffleur de braises », j’ai bien peur que l’auteur utilise à nouveau le principe de la narration alternée présent passé avec un passé conté de manière épistolaire…
Au passage, on notera une nouvelle fois les vilaines couvertures proposées par les éditions ThoT.
Au final, une déception que cette lecture dont j’attendais beaucoup, du moins autant que dans celles des aventures précédentes.