L'As de Trèfle
Je n’ai, ces derniers mois, cessé de louer la double maîtrise du genre policier et du format fasciculaire de l’écrivain Géo Duvic (1900-1968) également connu sous le pseudonyme de Maurice Lambert.
En effet, la lecture des fascicules qu’il écrivit, notamment pour la « Collection Rouge » des éditions Janicot entre 1943 et 1946, fut un plaisir rarement égalé dans ce format si contraignant du fascicule de 32 pages.
Depuis que je m’intéresse à la littérature populaire fasciculaire, seuls quelques auteurs sont parvenus à totalement me convaincre et Maurice Lambert fut probablement l’unique à y parvenir avec plusieurs personnages récurrents : le commissaire Mazère, l’inspecteur Machard et A.B.C. Mine.
Ces dernières semaines, je me suis penché sur quelques romans policiers de l’auteur pour me rendre compte si celui-ci performait autant sur le format long que sur le court et je puis dire que c’était le cas.
Mais, une chose à laquelle je ne m’attendais pas du tout de la part de Géo Duvic/Maurice Lambert, c’était son art de la parodie et son sens de l’humour.
Cette face cachée de l’écrivain, je viens de la découvrir grâce à « L’As de Trèfle » signé Géo Duvic, un roman publié en 1943 dans la collection « Les Loups » de la Nouvelle Édition.
L’AS DE TRÈFLE
Arsène Soumm, obscur petit employé dans une société d’export, las de son maigre salaire et de son existence rangée, décide de changer de vie en se « faisant » détective.
Dans son esprit, il se voit déjà résoudre la double énigme touchant le richissime couple anglais Born : le vol de la broche de diamants noirs « L’As de Trèfle », suivi de la mort mystérieuse du mari…
Mais la tâche sera d’autant plus ardue que la police officielle et un célèbre inspecteur de Scotland Yard sont sur l’affaire…
Si on ne s’improvise pas enquêteur privé, parfois, la chance et les aléas peuvent compenser un déficit de perspicacité…
La riche Mrs Born vient de se faire voler, à Paris, une superbe broche en diamants noirs formant un as de trèfle, dont son nom : L’As de Trèfle.
Alors que la police française mène l’enquête, le couple Born décide de se rendre à Monte-Carlo pour que Madame puisse assouvir sa passion du jeu. Mais, dans le train, Mr Born meurt mystérieusement empoisonné.
Le célèbre inspecteur de Scotland Yard Everly débarque alors en France pour protéger Mrs Born pendant que de son côté, Arsène Soumm, un petit expéditionnaire en écritures dans une maison d’expédition, lassé de gagner faiblement sa vie depuis quinze ans dans un ennuyeux emploi décide de se lancer dans le métier de détective, sous le nom de Momus, et de retrouver L’As de Trèfle afin de toucher la récompense promise par l’assureur du bijou.
Que dire de ce roman si ce n’est qu’il bouleverse totalement l’idée que j’avais de la plume de Maurice Lambert, non pas qu’il soit décevant, mais il fait voir une tout autre facette de l’auteur.
Pourtant, par l’intermédiaire d’un prologue clair et concis, l’auteur prévient le lecteur que le roman qu’il va lire, s’il n’est parodique, du moins sera le reflet d’un roman policier livré par un miroir déformant. Il précise même qu’il proposera tous les personnages et passages obligés du roman policier.
C’est donc bien à une parodie de roman policier que l’auteur nous invite et, pourtant, la surprise n’en est pas moindre.
Effectivement, on s’attend à un peu d’humour (il y a en beaucoup) à des personnages décalés (ils le sont) parfois ridicules (ils le sont également) et, malgré tout, à une intrigue policière…
Et tout y est, même l’intrigue…
Mais, si Maurice Lambert maltraite ses personnages en évitant de les présenter sous un jour si ce n’est sérieux, du moins avantageux, il en fait tout autant avec son intrigue qui, sous des airs de mystère et de sérieux, se révélera au final, le reflet d’un même prisme déformant.
C’est un peu comme si l’auteur avait voulu écrire un roman policier né de l’union de « Candide » de Voltaire et de « Le resquilleur sentimental » de René Pujol, le tout mâtiné de Vaudeville.
Cela peut sembler, ainsi résumé, un peu indigeste, mais, au contraire, le tout est léger et amusant, drôle et prenant, et le récit avançant, on se demande, comme dans un thriller, comment l’auteur et son enquêteur vont résoudre l’affaire.
Et les deux la résolvent, le premier sans démériter et le second de la manière dont il a mené son enquête : « Question de méthode », dirait-il.
Et, à la fin, le lecteur se rend compte que le prologue disait vrai, que l’auteur lui a proposé tous les personnages et les passages obligés… et même plus.
Au final, un roman qui surprend, de la part de Maurice Lambert, mais qui fait surtout sourire et ça fait du bien.