Conseils d'écriture de Bernard Werber 1/2
Bernard Werber est un auteur connu et reconnu, notamment pour sa trilogie des « Fourmis ».
Mais Bernard Werber n'est pas qu'un grand écrivain, plus de 20 millions de livres vendus dans le monde (même si je n'ai jamais lu un seul de ses livres), c'est aussi un homme qui aime partager son savoir et son expérience, notamment, en proposant des conseils d'écriture pour les écrivains amateurs que vous pouvez trouver sur son site.
Loin de moi l'idée de critiquer cette initiative puisque je me suis moi-même risqué à cet exercice, mais j'ai eu l'envie soudaine de confronter les avis d'un écrivain « amateur », à celui d'un auteur « professionnel ».
Voici donc mon avis sur les conseils de Bernard Werber.
1. - Le désir
Ecrire ? Au commencement est le désir. Se demander pourquoi on a envie d'écrire. Si c'est pour faire une psychanalyse par écrit (et donc économiser 25 ans et 100 000 euros) mieux vaut renoncer. Si c'est pour gagner de l'argent ou avoir de la gloire, ou passer à la télévision ou épater sa maman, renoncer. La seule motivation honorable me semble être : parce que l'acte d'écrire, de fabriquer un monde, de faire vivre des personnages est déjà une nécessité et un plaisir en soi (on peut aussi admettre comme motivation : épater une fille dont on est amoureux).
À mon sens, au commencement, l'écriture ne doit pas être un désir, mais un besoin. C'est malheureusement parce que beaucoup ont envie d'écrire sans en ressentir le besoin que le Net est submergé de productions sans aucun intérêt.
Contrairement à mon aîné, je conseille avec vigueur l'écriture d'introspection. Écrire son mal être est une bonne motivation et une excellente façon de passer à autre chose. Personnellement, cette méthode m'a permis de me remettre de la mort de mon grand-père et m'a même permis d'écrire l'une de mes nouvelles les plus touchantes, « La montre à Pépère », que vous pouvez lire dans le recueil de nouvelles « Chaîne de vies », disponible sur le site d'OXYMORON Éditions.
La seule motivation honorable, à mon sens, est de retirer du plaisir, soit immédiat, lors de l'écriture, soit à posteriori, par soulagement.
Par contre, je suis d'accord avec Bernard (oui, je me permets de l'appeler par son prénom), avec le fait que choisir d'écrire uniquement pour l'argent et la gloire est une absurdité sans nom.
2. - Les handicaps
Le principal problème de l'écriture, c'est que c'est un acte solitaire absolu. On est seul avec sa feuille et soi même. Si on a rien à dire aux autres ni à se dire à soi même, l'écriture ne va que vous faire mesurer ce vide intérieur. Désolé. Il n'y a pas d'acte qui ne soit pas avec des contreparties. Si vous devenez écrivain professionnel «sérieux» préparez-vous à passer au moins 5 heures par jour enfermé seul devant un ordinateur, une machine à écrire ou un calepin. Vous en sentez-vous capable ?
Le principal intérêt de l'écriture, c'est que c'est un acte solitaire, à la base, mais qui a besoin d'autrui pour exister. De plus, c'est un art qui ne nécessite aucun investissement financier : un stylo, un crayon, une feuille, un bâton dans du sable, ou l'ordinateur que vous avez acheté pour télécharger de la musique, des films et discuter avec vos potes. Si vous n'avez rien à dire, vous abandonnerez rapidement et passerez à autre chose. Si vous avez des choses à partager, alors, vous créerez un lien particulier avec vos lecteurs.
Si vous devenez un écrivain professionnel « sérieux », vous passerez au moins 5 heures par jour enfermé seul devant un ordinateur. Préféreriez-vous passer 8 heures par jour seul devant une machine-outil ?
3. - Un artisanat
On dit que pour réussir il faut trois choses : le talent, le travail et la chance. Mais que deux suffisent. Talent plus travail, on n'a pas besoin de chance. Talent plus chance, on n'a pas besoin de travail. Travail plus chance, on a pas besoin de talent. Vu qu'on ne peut pas agir sur la chance, mieux vaut donc le talent et le travail.
Comment savoir si on a le talent...? En général les gens qui ont le talent d'écrire ont déjà pris l'habitude de raconter des histoires à leur entourage. Ils prennent plaisir à relater des événements vécus ou lus, et naturellement on a envie de les écouter. Ce n'est pas obligatoire, mais c'est un premier signe. Souvent les gens qui racontent bien les blagues finissent par comprendre les mécanismes d'avancée d'une intrigue et d'une chute. La blague est l'haïku du roman. D'ailleurs tout bon roman doit pouvoir se résumer à une blague.
Admettons qu'il faille trois choses pour réussir dans l'écriture, Travail, Talent et Chance. Mais que deux critères parmi le TTC suffisent. Pour autant, il est nécessaire d'expliquer à Bernard que, si la Chance ne se contrôle pas, le Talent non plus. Du coup, la seule chose que l'on peut gérer, c'est le Travail. Mais le Travail ne suffit pas à produire de bons textes. De plus, il n'est pas besoin de produire de bons textes pour réussir. Parmi les livres qui se vendent bien, tous ne sont pas bons. Parmi les livres qui ne se vendent pas, tous ne sont pas mauvais. Ainsi, autre que la Chance ou le Talent, il est préférable d'avoir les Connaissances ou d'être déjà Connu.
Combien de livres de célébrités (que beaucoup n'ont pas écrit eux-mêmes) se sont très bien vendus alors que votre excellent roman n'a même pas trouvé un éditeur digne de ce nom ?
Ceci dit, c'est assez étrange d'expliquer comment réussir quand, juste avant, on assure qu'il ne faut pas écrire pour réussir.
Quant à l'histoire du conteur de blagues, Guy Montagné aurait dû être le plus grand romancier du siècle si Bernard avait raison.
4. Lire
On doit lire le genre de livres qu'on a envie d'écrire. Ne serait-ce que pour savoir ce que les autres auteurs, confrontés aux mêmes problèmes, ont fait. On doit aussi lire les livres des genres qu'on n'aime pas forcément ne serait ce que pour savoir ce qu'on ne veut pas faire.
Doit-on lire ? C'est évidemment envisageable, bénéfique, mais pas forcément nécessaire et encore moins obligatoire. Certes, lire vous permettra de savoir ce que les autres font et vous permettra d'engranger des mots, des tournures de phrases, des indices sur la façon de conduire une histoire...
Pour autant, je suis plutôt d'avis d'éviter de lire le genre de livres que l'on a envie d'écrire. L'influence peut être trop forte donc néfaste à votre écriture. Si vous voulez écrire du polar humoristique, ne lisez surtout pas du San-Antonio. Par contre, lire du policier à suspense, de la poésie et d'autres genres, va vous permettre de développer votre plume en multipliant les styles et les effets.
5. Se trouver un maître d'écriture
Se trouver un maître ne veut pas dire copier, ni plagier. Cela veut dire être dans l'esprit, la liberté, la manière de développer les histoires de tel ou tel. Il n'y a pas de contradictions avec la loi un peu plus bas sur l'originalité. Lire peut vous permettre de décomposer les structures comme si on démontait un moteur de voiture Mazeratti pour voir comment c'est fait. Cela ne vous empêche pas de construire autrement une Lamborgini.
Se trouver un maître d'écriture, c'est bien, s'en trouver plusieurs, c'est mieux. Plus grand sera l'acquis en se trouvant un maître autre que dans la pure écriture, dans la construction d'une histoire, dans l'art de jongler avec les mots...
D'ailleurs, il n'est pas nécessaire de choisir cet exemple, ce mentor, dans une liste de romanciers. Personnellement, j'ai pour mentors dans l'écriture, Pierre Desproges, Robert Lamoureux, Raymond Devos, Michel Audiard. On est loin des grands romanciers, mais nous sommes très proches des grands artistes des mots.
6. Accepter le statut d'artisan
Ecrire est un artisanat. Il faut avoir le goût à ça, puis l'entretenir régulièrement. Pas de bon écrivain sans rythme de travail régulier. Même si c'est une fois par semaine. Ensuite on est tout le temps à l'école. Chaque livre va nous enseigner un petit truc nouveau dans la manière de faire les dialogues, le découpage, de poser vite un personnage, de créer un effet de suspense. C'est ça l'artisanat. Surtout ne vous laissez pas impressionner par les passages des écrivains à la télévision ou les interviews de ces écrivains... Ce ne sont que des attitudes. Le vrai artisanat ne peut pas être montré là-bas. Et n'oubliez pas que ce n'est pas parce qu'un auteur passe bien à la télé ou est beau ou souriant que c'est un bon artisan. C'est juste un bon type qui passe à la télé dans le rôle d'écrivain. En général plus ils sont sérieux, plus ils impressionnent. La seule manière de savoir ce que vaut un écrivain est de le lire. La seule manière de savoir ou vous en êtes dans votre artisanat est de demander à vos lecteurs ce qu'ils pensent de vos livres.
Pas grand-chose à dire sur cette question. Effectivement, on s'améliore tous les jours et il est préférable d'avoir un rythme d'écriture régulier.
Pour ce qui est des auteurs qui passent à la télé, si l'on ne peut juger de la qualité de leurs écrits en les regardant, on peut, par contre, juger de leur passion en les écoutant et en regardant leurs yeux.
7. L'inspiration
En fait, bien souvent, l'inspiration vient d'une résilience. On souffre dans sa vie donc on a besoin d'en parler par écrit pour prendre le monde à témoin. Par exemple quelqu'un vous a fait du mal; vous ne vous vengez pas par des actes, vous vous vengez par écrit en fabriquant une poupée à son effigie et en y plantant des aiguilles d'intrigue. À la fin le héros casse la figure à la poupée à l'effigie de votre adversaire. On dit que les gens heureux n'ont pas d'histoire. Je le crois. Si on est complètement heureux satisfait de tout ce qu'on a déjà pourquoi se lancer dans l'aventure hasardeuse de l'écriture ? À la limite je conçois qu'une fois qu'on est écrivain professionnel l'écriture devienne en soi une sorte de quête du graal, du livre parfait, mais là encore c'est une frustration à régler. Donc une souffrance. Oui dans l'écriture il y a forcément une vengeance contre quelque chose ou quelqu'un. Ou en tout cas un défi à relever.
Est-ce moi ou bien Bernard entre en contradiction avec lui-même en disant dans le (1) qu'il ne faut pas faire d'écriture psychanalytique et ici que l'écriture sert à régler des comptes et à parler de sa vie. D'un côté Bernard nous explique que la bonne raison pour écrire est d'avoir une histoire à raconter et des personnages à faire vivre et de l'autre, il nous avance que si l'on est heureux, on ne peut pas écrire. Être heureux empêche-t-il d'avoir une histoire à raconter et des personnages à faire vivre ? Je ne le crois pas.
8. - L'originalité
Un livre ou une histoire doit apporter quelque chose de nouveau. Si ce que vous faites est dans la prolongation de tel ou tel ou ressemble à tel ou tel ce n'est pas la peine de le faire. Tel ou tel l'a déjà fait. Il faut être le plus original possible dans la forme et dans le fond. L'histoire ne doit ressembler à rien de connu. Le style doit être neuf. Si on dérange des imprimeries et si on abat des arbres pour avoir de la pâte à papier, c'est qu'il faut avoir quelque chose à apporter en plus avec son manuscrit.
Je suis assez d'accord avec tout cela, malheureusement, si on respectait cette règle à la lettre, il n'y aurait plus beaucoup de livres imprimés chaque année.
Une autre question me brûle les lèvres. Vaut-il mieux écrire quelque chose d'original, mais de très mauvais ou un roman qui ressemble un peu à un autre, mais qui est plutôt bien écrit et plaisant à lire ?
9. La fin
Si le lecteur découvre qui est l'assassin ou comment va se terminer le livre dès le début ou le milieu, vous n'avez pas rempli votre contrat envers lui. Du coup, pour être sûr d'avoir une fin surprenante, il vaut mieux commencer par écrire la fin puis le cheminement qui empêchera de la trouver.
Depuis quand la fin d'un livre doit-elle être forcément surprenante ? Dans un policier à suspense, peut-être, mais dans tout autre genre ? Comment fait-on quand le nom de l'assassin est connu dès le début de l'histoire ? Ou quand il n'y a pas d'assassin ?
10. - Surprendre
Il faut surprendre à la conclusion, mais il faut toujours avoir une envie de surprendre à chaque page. Il faut que le lecteur se dise à chaque fois «ah ça… je ne m'y attendais pas». Les romains inscrivaient à l'entrée des théâtres «Stupete Gentes» qu'on pourrait traduire «Peuple préparez vous à être surpris ». Surprendre son lecteur est une politesse.
Surprendre est un artifice qui, utilisé à bon escient, apporte une qualité certaine, mais qui, utilisé à profusion, n'apporte que confusion et frustration.
C'est à force de vouloir trop surprendre que certains auteurs de policier à suspense comme Jean-Christophe Grangé, tissent des histoires abracadabrantes qu'ils peinent à démêler à la fin du récit ce qui donne des fins décevantes. La surenchère de surprises, qui est une mauvaise coutume en matière de romans policiers, ces dernières années, provoque, une déception finale.
11. Ne pas vouloir faire joli
Beaucoup de romanciers surtout en France, font du joli pour le joli. Ils enfilent les phrases tarabiscotées avec des mots de vocabulaire qu'il faut chercher dans le dictionnaire comme on enfile des perles pour faire un collier. Cela fait juste un tas de jolis phrases. Pas un livre. Ils feraient mieux d'être poètes. Au moins c'est plus clair. Toute scène doit avoir une raison d'être autre que décorative. Le public n'a pas (n'a plus ?) la patience de lire des descriptions de paysages de plusieurs pages ou il ne se passe rien, ni des dialogues sans informations qui n'en finissent pas. La forme ne peut pas être une finalité, la forme soutien le fond. Il faut d'abord avoir une bonne histoire ensuite à l'intérieur on peut aménager des zones décoratives, mais sans abuser de la patience du lecteur.
Si l'on suit à la lettre le précepte dicté par Bernard, on pourrait en arriver à la conclusion qu'il faut se contenter des 300 mots les plus usités de la langue française et surtout ne pas tenter de faire des phrases qui révolutionnent le simple Sujet-Verbe-Complément.
Bernard nous explique donc qu'il faut retirer tout le superflu dans un texte. Vive les romans de douze pages !
12. Recommencer
Ne pas avoir peur de tout recommencer. En général le premier jet est imparfait. On a donc deux choix, soit le rafistoler comme une barque dont on répare les trous dans la coque avec des bouts de bois, soit en fabriquer une autre. Ne pas hésiter à choisir la deuxième solution. Même si l'informatique et le traitement de texte autorisent toujours des rafistolages. C'est un peu comme le «master mind». C'est parfois lorsqu'on a tout faux qu'on déduit le mieux comment faire juste. J'ai refait 120 fois «les fourmis» et franchement les premières versions n'étaient pas terribles.
En général, le premier jet est imparfait. Si on décide de tout réécrire, c'est qu'il n'était pas juste imparfait, mais très mauvais. En même temps, si on réécrit tout, la réécriture devient un nouveau premier jet, donc imparfait...
S'il est évident qu'il va falloir penser à réécrire certains passages, il ne faut pas non plus tout jeter à la poubelle.
Quand on pense au temps qu'il faut pour écrire un roman, j'ai du mal à croire que Bernard a entièrement réécrit 120 fois « les fourmis », mais je veux bien croire que les premières versions n'étaient pas terribles.
13. Les lecteurs tests
Trouver des gens qui vous lisent et qui n'ont pas peur de vous dire la vérité. La plupart des gens auxquels vous donnerez votre manuscrit à lire se sentiront obligés de vous dire que c'est la 7ème merveille du monde. Cela ne coûte pas cher et ça n'engage pas ; Par contre dire à un auteur, «Ton début est trop long, et ta fin n'est pas vraissemlable» signifie souvent une fâcherie avec l'auteur. Pourtant ce sont ceux qui auront le courage de vous dire cela qui seront vos vrais aides. Et c'est à eux qu'il faudra donner en priorité vos manuscrits à lire pour avoir un avis. Vous pouvez aussi écouter les félicitations pour les scènes réussies. Mais ne soyez pas dupe. Mettez votre ego de coté. Fuyez les flatteurs qui ne sont pas capables d'expliquer pourquoi cela leur a plu.
Là, bravo, Bernard, j'adhère totalement.
Sur ce, se termine la première partie de la confrontation entre l'avis de Bernard et le mien. Suite au prochain épisode.