Mémoire en cage
Est-il encore nécessaire de présenter Thierry Jonquet ? Oui ? Bah non ! La meilleure façon de découvrir Thierry Jonquet, c’est de lire des romans de Thierry Jonquet.
Et c’est ce que j’ai fait une nouvelle fois avec, cette fois-ci, la découverte de « Mémoire en cage » un petit roman qui fût publié dans les collections « Sanguine » chez Albin Michel, « Série Noire » chez Gallimard et « Folio Policier » toujours chez Gallimard.
Mémoire en cage :
Qui ? Pourquoi ? Comment ? Voilà les questions que se posait le commissaire Gabelou.
Trois questions pour trois cadavres. Comment en était-on arrivé là ? La fatalité, l’injustice et la vengeance… Cynthia a beau être prisonnière de son fauteuil roulant et de son corps souffrant, elle n’est peut-être pas si débile qu’il y paraît. Sa vie est fichue alors il ne lui reste plus qu’à réussir la mort de l’ordure qui a tout gâché. Mais comment ?
Autant le dire tout de suite, heureusement qu’il y a la 4e de couverture pour savoir que ce roman est un roman policier, car, aux deux premiers tiers du roman, on en douterait.
On en douterait, car le récit n’a rien de policier jusqu’à son dernier tiers (quart ? cinquième ??? bref, vers la fin).
Effectivement, Thierry Jonquet nous invite à suivre trois personnages. D’abord, Cynthia, une adolescente de bientôt 16 ans, gravement handicapée physiquement et mentalement. Le docteur Morier, responsable du service des infirmes moteurs et cérébraux dans lequel est hébergée Cynthia. Jean, un jeune homme qui passe un stage d’été dans le même service.
Ce roman, publié à l’origine en 1982, est le premier roman du tout jeune Thierry Jonquet (28 ans) et déjà on devine le potentiel et le style du Thierry Jonquet à venir, qui viendra très vite, d’ailleurs.
Roman polyphonique à trois voix (Cynthia, le docteur Morier et Jean) voire, quatre voix, puisqu’il y a également une narration à la troisième personne, qui alterne avec les autres.
C’est donc un roman assez ambitieux pour un premier roman, de par sa narration difficile à gérer et pourtant assez bien maîtrisée, et par son sujet, son ambiance et son style.
Habitué au milieu hospitalier (Jonquet travailla en ergothérapie, Gériatrie, en neuropsychiatrie infantile), il n’est pas étonnant que l’écrivain se serve de son expérience personnelle pour développer son premier ouvrage.
Cynthia est dans l’institut depuis deux ans sans que ses parents (enfin, sa mère et son beau-père), ne viennent vraiment la voir, et n’a pour unique passion que celle d’emmerder le plus possible le docteur Morier qu’elle surnomme « L’ordure » et dont elle cherche à se venger pour des raisons que le lecteur connaîtra plus tard. Déclarée débile, incapable de se mouvoir, de parler, elle passe son temps à baver, la tête penchée, les yeux dans le vide.
Le docteur Morier est un ancien chirurgien ambitieux qui prépare un ouvrage sur sa spécialité chirurgicale, qui, il espère, lui permettra de retrouver son statut et sa femme, dont il est séparé contre son gré.
Jean est le fils d’une amie de la femme du docteur Morier. C’est pour cette raison qu’il a pu obtenir un stage dans l’institut, le temps d’un été, pour s’occuper, la nuit, des rares pensionnaires qui ne sont pas chez leurs parents ou en colonie, c’est-à-dire trois enfants, dont un trisomique et Cynthia. Le jeune homme est un obsédé sexuel frustré par son impuissance.
Ce sont donc trois personnages diamétralement opposés qui se croisent dans ce roman et dans l’histoire, chacun avec son obsession qui, comme toute obsession, occupe le principal de leurs journées et de leurs vies.
Jonquet doit donc s’approprier trois personnages, inventer trois vies, trois langages. Des langages, pour la plupart, pas très châtiés, de par l’âge, de par l’obsession, de par la rage...
On se doute, quand on connaît Jonquet, et quand on a lu la 4e de couverture, que la rencontre de ses trois personnages va mal se passer et qu’elle va faire des éclats.
Parfois glauque, parfois vulgaire, parfois sombre, ce roman, dont l’aspect policier est réduit à sa portion congrue, aurait pu être, pour moi, rédhibitoire s’il n’était pas né de la plume de Thierry Jonquet, dont je connais le talent de surprendre le lecteur avec un final inattendu, et s’il n’était pas si court.
Non pas qu’il soit mauvais, mais le sujet n’est pas fait pour m’attirer et me retenir.
Non pas qu’il soit mal écrit, même si j’ai trouvé le style parfois maladroit, parfois facile, rarement recherché (mais là, le sujet ne s’y prête pas vraiment).
Au final, même si « Mémoire en cage » est loin de concurrencer, pour moi, bien d’autres romans de l’auteur, il faut lui reconnaître une audace et une certaine maîtrise appréciable pour un tout premier roman. Une œuvre liminaire qui était prometteuse à son époque et qui a, depuis, tenu toutes ses promesses.