La bande Keminoff
Pour certains, les moins aguerris avec le genre, la littérature populaire policière française débute avec les romans d’Émile Gaboriau voire Eugène Sue avec « Les Mystères de Paris », et s’achève avec ceux de Georges Simenon (quoique l’auteur soit extrait de la gangue par son statut devenu culte).
Entre les deux naviguent des auteurs dont le nom des personnages a laissé plus de traces dans les esprits que les leurs propres : Arsène Lupin, le gentleman cambrioleur qui cache l’écrivain Maurice Leblanc ; Rouletabille prenant vie sous la plume de Gaston Leroux ; Fantomas, le maître du crime masqué qui mobilisa les deux auteurs Marcel Allain et Pierre Souvestre...
Mais les mêmes lecteurs ne savent pas, ou bien ont oublié, l’immensité de la forêt de textes cachée par ces quelques arbres de la littérature populaire.
Peut-être ignorent-ils, d’ailleurs, que cette littérature populaire revêtait différents costumes, et non uniquement celui du roman qui fit entrer les auteurs précités dans la postérité.
Leur mémoire n’a-t-elle point retenu que durant plus d’un demi-siècle, les oripeaux recueillant les proses d’écrivains aussi prolifiques que mystérieux se composaient également de romans-feuilletons dans les journaux ou les magazines, de nouvelles, de contes... mais également et, peut-être, surtout, de fascicules.
Ces fascicules si chers à mon cœur de lecteur à qui je ne cesse de dire combien je les aime.
Dans cet océan de mots, de phrases, de paragraphes, on découvre des histoires, des personnages, qui enchantèrent des générations, des jeunes jusqu’aux moins jeunes, grâce à la production de masse d’auteurs dévoués corps et surtout âmes à cette tâche ingrate consistant à écrire et écrire encore plus pour satisfaire une partie du public tout en étant méprisés par l’autre partie.
Car, il n’existe pas de plus grand mépris que d’ignorer l’autre, son travail, son œuvre, sa vie.
Et c’est la raison pour laquelle, moi, avec mes petits doigts, ma petite tête, je tâche, chaque jour, de faire revivre ces auteurs, ces textes, ces personnages, à travers mes lectures et mes chroniques.
En voilà une belle entrée en matière aussi émouvante et glorieuse qu’inutile, me direz-vous ?
Certes, mais comme tout excès, elle a pour but de cacher une carence.
Celle d’aujourd’hui réside dans la personnalité de Harry Sampson, l’auteur de la série de fascicules de 16 pages, double colonne contenant des récits indépendants de 10 000 mots contant aux lecteurs les aventures de « L’Agence Walton », une agence de détectives new-yorkaise.
Cette série, vous l’aurez compris, est née de la plume de Harry Sampson.
Mais qui est Harry Sampson ? Nul ne le sait désormais (ou si quelqu’un le sait, qu’il se lève ou bien se taise à jamais).
Quoi ? Tout ça pour ça ? Je me plains que les gens ignorent certains auteurs et voilà que, moi-même, je suis dans cette ignorance ? Pas tout à fait puisque si je n’ai aucune bille à fournir sur l’auteur, j’en sais un peu plus sur la série pour l’avoir dévorée, du moins, jusqu’au 4e épisode, « La bande Keminoff », qui nous intéresse aujourd’hui (mais rassurez-vous, je ne tarderai pas à sauter sur la suite).
Pour information, cette série de 8 fascicules a été publiée en 1945 par les éditions Nicea et magnifiquement illustrée par Hugues Ghiglia.
LA BANDE KEMINOFF
Quand le fils du millionnaire J. J. Woolrich est retrouvé mort d’une overdose sur les bords de l’Hudson, le père éploré, criant vengeance et redoutant le scandale, embauche l’Agence WALTON afin de débarrasser la ville d’un caïd de la drogue.
Teddy WALTON et sa fine équipe vont avoir fort à faire puisque la bande qui revend la coco à la jeunesse dorée s’occupe également d’un trafic de machines à sous très lucratif.
Bien décidé à libérer New York du joug de ces gangsters, Teddy WALTON n’hésite pas à utiliser sa méthode favorite, celle frontale, consistant à donner un coup de pied dans la fourmilière en espérant forcer l’énigmatique gros bonnet à se découvrir.
Mais si cette tactique a déjà démontré son efficacité, elle comporte un inconvénient de taille : s’exposer aux représailles d’ennemis nombreux et armés…
Alors que J. J. Woolrich, un millionnaire en vue, donne une immense fête pour l’anniversaire de sa fille Ann, la police débarque pour lui annoncer la mort de son fils, par overdose. Le corps a été découvert sur les rives de l’Hudson.
Fou de rage, l’homme fait appel à l’Agence Walton pour éradiquer la ville des trafiquants responsables de la mort de son enfant. Mais ceux-ci sont également responsables d’un trafic fructueux de machines à sous et le nom du chef est inconnu de tous.
Aussi, Ted Walton, Ben Spirtz et Bill Courant vont tout faire pour s’attirer les foudres du big boss afin de le forcer à se découvrir...
J’évoquai dans un précédent épisode le fait que Harry Sampson s’amusait à parodier le genre « Hard Boiled », ces petits polars américains mettant en scène des détectives ou des policiers durs à cuire.
Pour autant, jusqu’ici, et même si les membres de l’Agence s’en plaignaient, ils n’avaient pas trop à démontrer leur coriacité.
L’auteur remédie à ce regret avec cet épisode puisque Ted, Bill et Ben vont devoir jouer des poings, mais surtout du Colt et essuyer les tirs ennemis, mettant leurs vies en péril afin de remplir leur mission.
Et cette mission ne sera pas de tout repos puisqu’ils ne vont pas devoir se contenter de démanteler la bande et faire fuir le chef de celle-ci.
En plus, cet épisode devient mémorable (oui, j’abuse un peu des mots, je grossis le trait. Certes, il n’y a rien de mémorable, mettons « notable ») puisque c’est l’occasion pour l’imperturbable Ben Spirtz, « L’homme privé de réaction » comme aime à le nommer Babe Gilmore, l’atout charme de l’Agence, de péter les plombs. Et quand Ben Spirtz, l’homme imperturbable, s’émotionne, croyez-moi, que cela barde.
Tout cela, l’histoire, l’intrigue, la « mémoration » est bien entendue est à mesurer en fonction du format court, bien évidemment.
Du coup, plus d’actions, plus de réactions, moins d’humour, mais l’on pardonnera l’auteur tant le récit respecte le genre et offre un moment de lecture très agréable du fait de la plume alerte, de la maîtrise du genre et de la narration linéaire et d’une histoire rocambolesque et intéressante.
Au final, Harry Sampson fait carton plein dans la première moitié de sa série puisque les 4 premiers épisodes de celle-ci s’avèrent de qualités.