Le marais pot-de-vin
On ne présente plus Jean-Bernard Pouy (non, je ne répéterais pas une énième fois que c’est un génie), un auteur particulier, cultivé et généreux à qui l’on doit tout un tas de bons romans, principalement policier et qui est à l’origine de la saga « Le Poulpe » dont il a créé le personnage et la franchise en mettant en place une Bible pour que d’autres auteurs, venus de tous les univers, puissent se lancer dans l’écriture d’une aventure du personnage.
On sait ce que cela a donné, des centaines de titres, des bons, des très bons, des moyens, des mauvais et une adaptation cinématographique sympathique.
Aussi, à 75 ans, se lance dans le pari de redonner une seconde jeunesse à Nestor Burma, le détective de Léo Malet, on peut être curieux du résultat, le redouter, ou bien s’en foutre totalement si l’on est hermétique à la fois à la plume de Pouy et à l’univers de Malet.
Pour ma part, plutôt que d’être exalté, j’étais dubitatif. Plus encore, je me demandais juste « Pourquoi ? ». Pourquoi Jean-Bernard Pouy, dont la grande qualité est, justement, de créer des personnages intéressants, allait-il s’emmerder (ou s’amuser) à faire revivre le héros d’un autre. Qui plus est le héros d’un auteur que certains affirmaient être proche de l’extrême droite dès les années 50, frange politique dont il partagea les idées au moins sur le tard (voir son interview à Libération du 11 juin 1985, à l’âge qu’à aujourd’hui Pouy), mais dont on peut déjà entrapercevoir les idées dans « Le soleil n’est pas pour nous », excellent roman au demeurant, mais qui, inspiré par sa jeunesse, semble également l’être par sa vision de l’étranger, des Arabes, notamment, dans ce roman-ci.
Alors, que venait donc faire Pouy dans cette galère ? Double galère ? Celle de reprendre un personnage aussi identifiable et identifié que Nestor Burma et celui de se glisser dans les oripeaux d’une auteur aux antipodes de ses pensées ? Je ne sais, il faudra lui demander.
Mais intéressons-nous au roman.
Jean-Bernard Pouy décide donc de faire revivre Nestor Burma à l’heure de la pandémie mondiale actuelle. Le bonhomme, face à la crise, a dû fermer boutique et s’est reconverti comme comédien d’obscur théâtre.
Mais, nostalgie oblige, à peine déconfiné, il retourne sur ses lieux de plaisir, un bistrot dans lequel il avait l’habitude de retrouver la même bande d’habitués et c’est l’occasion, devant les portes fermées, de se souvenir de sa dernière enquête, datant de 2019. Dans son troquet, un camarade, laveur de carreaux, est triste, un ami et collègue a été salement tabassé dans la rue au sortir du travail (il lavait les vitres d’une galerie d’art).
Nestor Burma, se demandant pourquoi on a voulu tuer un laveur de carreaux va s’intéresser à l’affaire et débusquer, derrière ce simple fait divers, un trafic de tableaux mêlant spoliation par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale…
Si Jean-Bernard Pouy fait revivre Fiat Lux, par l’intermédiaire des souvenirs de Nestor Burma, tout d’abord, et s’il glisse un peu tous les éléments des romans de Léo Malet (les arrondissements, ici seulement nommés par leur chiffre : le 4, le 2 ; la secrétaire, devenue africaine et se nommant Kardiatou, peut-être pour faire chier Malet, des coups durs, les difficultés financières de l’agence, le flic Faroux, devenu une fliquette, fliquesse dans le roman…) ne peut s’empêcher de faire du Jean-Bernard Puy (heureusement, d’ailleurs). Ainsi, Nestor Burma sent « l’affaire » alors qu’il est dans son bar favori, au milieu des habitués se racontant des conneries de comptoir (ce n’est pas le Pied de Porc à la Sainte Scolasse du Poulpe, mais l’esprit est le même). Et l’on retrouve avec plaisir les digressions de l’auteur, son humour, ses jeux de mots et ses références culturelles d’un autre âge (le sien)…
Mais c’est dans ce dernier domaine que le bât blesse, les références culturelles. Que Nestor Burma possède des références des années 50, 70, cela passe (on ne sait pas quel âge il a, mais il est censé être bien plus vieux que sa secrétaire). Mais que les autres personnages possèdent les mêmes références, que ce soit la fliquette ou, pire encore, la jeune Kardiatou ou d’autres, voilà qui me pose un petit problème.
Personnellement, j’ai toutes les références citées ou presque, bien que je sois nettement plus jeune que Pouy, mais j’ai une culture qui se penche plus souvent vers le passé que sur le présent, ce qui n’est pas le cas de tout le monde.
Ensuite, le second problème, c’est l’intrigue. Difficile de croire à cette intrigue un peu tirée par les cheveux. Notamment la première partie de cette intrigue à propos de la galerie d’art (je n’en dirais pas plus de peur de faire des révélations qui pourraient nuire à la lecture du roman).
Enfin, dernier problème et peut-être le plus gros, le fait que Nestor Burma, pour moi, c’est Nestor Burma, celui de Léo Malet, celui qui se retrouva au Stalag et qui ouvrit son agence de détectives juste après la guerre. Pas un Nestor Burma moderne (même si Pouy ne le rend pas trop moderne). Ce n’est pas plus le Nestor Burma jeune que Pierre Pécherot tenta de nous vendre dans « Les brouillards de la Butte », pas plus, probablement (je ne puis l’affirmer sans les avoir lus) que les versions de Nadine Monfils, Michel Quint, Daniel Thiery, Serguei Nounovetz, Jacques Saussey ou Jérôme Leroy dans la collection « Les Nouvelles enquêtes de Nestor Burma » chez French Pulp Éditions, dont le titre de Jean-Bernard Pouy faisait partie avant qu’il puisse retrouver ses droits après la liquidation judiciaire de l’éditeur.
Du coup, est-ce à dire que Pouy va poursuivre la série ? Aura-t-il ou a-t-il déjà eu l’autorisation par le fils de Malet qui l’avait donné à French Pulp Éditions ? Vous le saurez au prochain épisode.
Au final, j’aime Jean-Bernard Pouy. J’adore Jean-Bernard Pouy, mais je préfère qu’il meure avec ses personnages plutôt qu’il vive avec ceux des autres.