Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Loto Édition
3 mai 2020

On recherche jolie femme brune...

TR05

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme !

Cette maxime semble avoir été inventée pour définir la littérature populaire, bien que Lavoisier, à qui elle est attribuée, soit mort bien avant l’éclosion de celle-ci.

Mais Lavoisier avait raison et savait de quoi il parlait puisque son axiome lui était inspiré de propos du philosophe grec Anaxagore qui vécut 18 siècles avant lui.

Cependant, il faut bien reconnaître que pour transformer quelque chose, il faut bien que ce quelque chose fût au préalable créé.

C’est ainsi que la littérature populaire se nourrit d’elle-même, en recyclant, bien avant l’ère du tout écologique, les idées, les personnages, les intrigues...

Chaque héros charismatique à succès inspire alors de nombreux clones, plus ou moins savoureux, plus ou moins bien nourris par une belle plume...

Sherlock Holmes est un parfait exemple puisque presque 150 ans après son invention, il continue à susciter des inspirations, à faire naître des doubles.

C’est également le cas du détective américain Nick Carter (moins maintenant).

On trouvera également des sosies de Rouletabille, parfois plus savoureux que l’original (Toto Fouinard de Jules Lermina, par exemple), de Fantomas (Le Grand Maître de Claude Ascain), du commissaire Maigret (commissaire Odilon Quentin, de Charles Richebourg), mais également de nombreuses inspirations des détectives à la Sam Spade (Les Dessous de l’Agence Garnier de J.A. Flanigham ; « Les enquêtes de l’Agence Walton » de Harry Sampson...)

Le personnage d’Arsène Lupin n’échappe pas à cette mode.

Effectivement, l’immense succès du héros de Maurice Leblanc inspira de nombreux auteurs de la littérature populaire fasciculaire qui, concision d’un format court oblige, aimait à s’appuyer sur une figure déjà connue du grand public afin d’économiser de longues descriptions pour favoriser l’attachement d’un public.

C’est donc plus par nécessité que par fainéantise ou manque d’imagination que, souvent ces obscurs auteurs obligés de produire de nombreux textes en peu de temps, préféraient user d’une image déjà connue du lecteur plutôt que d’en inventer une de toute pièce.

Arsène Lupin, le gentleman cambrioleur, justicier à ses heures, a donc également servi de moules à de nombreux personnages de la littérature populaire fasciculaire. Parmi eux, on notera Robert Lacelles du prolifique Claude Ascain (Henry Musnik).

Mais on peut également citer Théodore Rouma, de Jean d’Auffargis, qui est le personnage et l’auteur qui nous intéressent aujourd’hui.

Effectivement, à partir de 1945, Maurice Laporte (le vrai nom de Jean d’Auffargis), exilé en Suisse pour échapper à la vindicte populaire après avoir collaboré avec les nazis, se met à écrire une série de petits romans d’environ 10 000 mots chacun contant les aventures d’un cambrioleur, Théodore Rouma, infiltrant la Haute Société sous des noms d’emprunt prestigieux et n’hésitant pas à jouer au justicier, souvent pour les doux yeux d’une belle jeune femme.

Notons que Maurice Laporte fut le créateur de la Jeunesse Communiste Française, avant de devenir totalement anticommuniste.

Notons également que ces récits (un peu plus d’une vingtaine) furent publiés aux éditions SEBF sous la forme de fascicules de 24 pages, simple colonne.

Notons, encore, que la première partie de la série fut illustrée par R. Charles et une autre partie par Bratonne.

Notons, enfin, que quelques épisodes furent publiés au Québec et qu’ils résultent probablement (du moins pour la plupart) de réécritures de textes déjà publiés.

 

ON RECHERCHE JOLIE FEMME BRUNE

 

Les terribles exploits du « Tueur de femmes » noircissent les pages de tous les journaux.

 

Trois victimes en une semaine, toutes de jolies brunes assassinées à coup de couteau dans un compartiment de train.

 

Gilberte, assise dans le sleeping la menant à Paris, survole d’un œil distrait l’article d’un quotidien relatant ces crimes.

 

À la lecture de la description du principal suspect, faite par un contrôleur, elle ne peut s’empêcher de se faire la remarque que la personne qui vient de s’asseoir sur la banquette en face d’elle correspond parfaitement au portrait dépeint dans la chronique et elle, à celui des cibles potentielles…

 

Un tueur de femmes sévit dans les trains de l’hexagone. Trois meurtres, déjà. Trois jeunes femmes brunes.

Aussi, quand Gilberte (le doux prénom sentant la naphtaline), une jolie jeune femme brune, se trouve dans un compartiment de train en compagnie d’un homme qui ressemble à la description du suspect faite par un contrôleur (roux, sourcils broussailleux, des dents en moins) et relayé par le journal qu’elle est occupée à lire, celle-ci est-elle sur ses gardes.

Et quand l’individu se lève d’une façon menaçante, elle n’a que le temps de sortir du compartiment en hurlant et de tomber dans les bras d’un homme dans lequel le lecteur averti aura reconnu immédiatement Théodore Rouma même s’il se fait passer pour un comte.

Le suspect a le temps de s’enfuir, mais Rouma, charmé par Gilberte, attirance évidemment partagée par la jeune femme, demande à celle-ci d’évoquer à la police une simple tentative de vol, afin d’éviter de la mettre sous les feux des projecteurs et en faire une cible à abattre. En retour, il se charge de mettre la main sur le criminel et de lui faire payer l’addition pour ses crimes.

Difficile, avec un personnage qui apparaît toujours sous une fausse identité de pouvoir faire une 4e de couverture évoquant le récit sans déflorer l’identité du héros. Cependant, si le lecteur a lu un ou deux autres titres de la série, il comprend immédiatement à qui il a affaire.

Jean d’Auffargis (je préfère lui laisser son pseudonyme pour dissocier l’artiste de l’homme mort) mène une nouvelle fois bien son bateau (en l’occurrence, son récit) grâce à une scène liminaire qui met le lecteur immédiatement dans le bain et qui ne s’embarrasse pas de passages inutiles.

Il faut bien avouer que cette mise en situation est efficace avec la potentielle victime qui fait face à son éventuel assassin et qui sent la frayeur s’emparer lentement d’elle en comprenant à qui elle a affaire.

Vient alors le secours de cet homme charismatique et protecteur, Théodore Rouma, puis la mise en place du piège que celui-ci va tendre au criminel.

Si cette seconde partie est moins forte, elle n’en demeure pas moins agréable à suivre du fait de l’absence de temps mort ainsi que du léger humour que l’auteur distille tout de long.

Certes, on pourra reprocher à Théodore Rouma d’avoir un cœur d’artichaut ou d’être un peu trop volage (même s’il semble à chaque fois très épris), car, à chaque épisode, il tombe amoureux d’une femme différente (toujours plus jeune, il ne faut pas déconner non plus), mais, s’il sait charmer les demoiselles, force est de constater qu’il peut également charmer le lecteur, du moins dans la mesure que permet un format aussi court que celui des épisodes.

Bien entendu, on n’attendra pas une intrigue exaltante, mais Jean d’Auffargis offre tout de même une légère fausse piste qui, heureusement, et malgré mes craintes, ne sombre pas dans les rebondissements éhontés que je reproche souvent aux auteurs de polars, mais c’est d’extrême justesse.

On en profite pour découvrir André, un homme de main de Théodore Rouma que l’on n’avait encore pas croisé.

Un héros charismatique (aidé en cela par l’image d’Arsène Lupin), une entrée en matière efficace, une histoire plaisante à lire, un peu d’action, de mystère, de romance et un rebondissement final avec, tout du long, un peu d’humour, que demander de plus à un récit de 10 000 mots ? Rien, il faut bien l’avouer.

Au final, un épisode qui remplit sa mission de bout en bout, sans fausse note et qui offre un bon moment de lecture.

Publicité
Commentaires
Loto Édition
Publicité
Loto Édition
  • Parce que l'édition est une véritable loterie dans laquelle il y a beaucoup d'appelés et très peu d'élus, il est grand temps que quelqu'un mette sa plume dans la fourmilière afin de faire connaître aux lecteurs la cruauté du milieu du livre !
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Derniers commentaires
Archives
Pages
Publicité