Réglez lui son compte
« Réglez-lui son compte » est une nouvelle étape dans mon voyage au pays des plus grandes sagas policières du monde de la littérature.
En tant qu'auteur moi-même d'une saga policière, la saga des « Wan & Ted », je me devais de découvrir ces séries en débutant par le premier opus de chacune.
Après avoir découvert, jeune, Sherlock Holmes et John Watson à travers « Étude en rouge », leur première aventure, j'ai ensuite fait la connaissance, plus récemment, de Gabriel Lecouvreur, alias le Poulpe, par l'intermédiaire de « La petite écuyère a cafté » de J.B. Pouy, puis découvert le commissaire Maigret avec « Pietr le Letton », partagé un moment de lecture avec Matt Scudder de Lawrence Block dans « Au cœur de la mort ».
Il était temps de voyager en compagnie de l'un des plus célèbres policiers de la littérature, tout au moins le plus gouailleur, le cultissime commissaire San Antonio (son nom prendra un tiret un peu plus tard). Pour cela, rien de mieux que sa toute première aventure, « Réglez-lui son compte », sortie en 1949 accompagnée de la seconde « une tonne de cadavres », dont je vous parlerais à part.
San Antonio, tout le monde connait, beaucoup l'ont lu, mais bien d'autres ne le connaissent qu'à travers les dires des aficionados de la saga. Parmi eux, mon père, qui a longtemps été un grand lecteur des ouvrages de Frédéric Dard.
Pour ma part, jusqu'à très récemment, j'ai boudé cette littérature, non pas par dédain, mais juste par manque d'intérêt, dans ma jeunesse (oui, même un être aussi merveilleux que moi peut avoir été un jeune con).
Ce n'est qu'il y a deux ans que le nom de San-Antonio est à nouveau parvenu à mes oreilles. Mon père, tout d'abord, mais plusieurs autres lecteurs des premiers « Wan & Ted », m'ont avoué que mon écriture, mes romans, leur faisaient penser, dans le ton, plus que dans le langage, à San-Antonio. Bien sûr, point d'argot dans mes ouvrages, mais cette liberté de ton et cet humour qui me tient à la plume entraient, d'après leurs dires, en résonnances avec ceux du grand, de l'immense Frédéric Dard.
Pour m'en convaincre, à l'époque, j'empruntais à mon père un des ouvrages de la série, « Manges et tais-toi ! » que je dévorais sur le bord de la plage.
Convaincu qu'une certaine communion d'esprit me reliait, en toute humilité, avec le grand auteur, je décidais de ne pas approfondir ma découverte de l'œuvre, San-Antonienne de peur d'être trop influencé par le maître et de risquer de le plagier inconsciemment.
Maintenant que je maitrise mieux mes personnages, mon style, l'ambiance de mes ouvrages et que ceux-ci tendent plus vers le polar qu'au départ, je peux à nouveau me permettre de lire du Frédéric Dard sans risque d'être trop influencé.
« Réglez-lui son compte » : Si, en ouvrant cet ouvrage, le lecteur pense lutter contre l'insomnie, il en sera pour ses frais et n'aura qu'à s'entendre avec son pharmacien habituel pour l'échanger contre un tube de Gardénal. Car ce livre est un ring, une arène, on s'y bat d'un bout à l'autre. La série d'ouvrages que publiera San-Antonio appartient à la littérature d'action. Celle mise à la mode par Peter Cheney, JH Chase, James Cain, etc. Ici l'énigme le cède à la violence. Ce livre doit se lire avec un revolver à la portée de la main. Il est écrit dans une langue savoureuse et pleine de fantaisie faubourienne, mais nul doute que le héros de ce roman ne soit sympathique à tous. Gouailleur, âpre, rusé, amer, tendre, violent, San Antonio écrit davantage avec ses poings qu'avec sa plume.
Cette première aventure est donc l'occasion de faire la connaissance avec le commissaire San Antonio. La légende veut que l'auteur ait choisi ce nom en pointant au hasard son doigt sur une carte des USA.
San Antonio est un jeune commissaire gouailleur, séducteur, bagarreur, buveur, mais, surtout, un des meilleurs.
Sa renommée fait qu'il est appelé à Marseille pour enquêter sur la découverte d'un corps dans un chantier vieux de plusieurs mois.
San Antonio découvre vite une piste à suivre, qui l'amènera sur les talons de tueurs, de tués, de jolies femmes... bref, de ce qui a fait le succès de la série.
Bien évidemment, ce premier épisode n'est pas aussi maitrisé que les suivants et c'est assez normal, mais Dard nous propose de ressentir déjà tout le talent qui anime sa plume.
Ainsi, c'est San Antonio lui-même qui nous narre ses aventures au présent de l'indicatif. D'ailleurs, la série débute par :
"Si un jour votre grand-mère vous demande le nom du type le plus malin de la Terre, dites-lui sans hésiter une paire de minutes que le gars en question s’appelle San Antonio. Et vous pourrez parier une douzaine de couleuvres contre le dôme des Invalides que vous avez mis dans le mille ; parce que je peux vous garantir que la chose est exacte étant donné que le garçon en question c’est moi."
Une entrée en matière plutôt singulière et qui est un réel condensé de la plume San-Antonienne : du présent, l'auteur qui apostrophe le lecteur (plus tard il ira même jusqu'à le tutoyer), des expressions originales... Il ne manque plus que les mots d'argot pour avoir un échantillon complet de ce que peut être un roman de San-Antonio.
Mais qu'on ne s'y trompe pas, si cette première enquête permet de visualiser le potentiel de Frédéric Dard, elle n'en comporte pas moins certaines lacunes.
On passera sur l'absence de Bérurier, il n'apparaitra que plus tard et sur l'absence de Félicie, la mère emblématique du commissaire qui est ici absente, bien que très souvent nommée par le commissaire.
Par contre, on notera la faiblesse de l'intrigue, les retournements un brin faciles et quelques temps morts dans l'histoire pourtant très courte.
Mis à part cela, on appréciera quelques bons mots, les expressions hautement imagées comme seuls Dard et Audiard savaient en inventer et surtout et avant tout, le plaisir d'écrire et le plaisir de faire plaisir au lecteur.
Car, c'est vraiment le grand point fort de ce premier ouvrage de la série et d'une grande partie de la suite ; on devine le plaisir que Dard a eu à écrire ces aventures et ce plaisir est contagieux.
C'est exactement ce que j'attends d'une littérature de divertissement, ressentir le plaisir de l'auteur. Car, ne l'oublions pas, écrire est avant tout un acte égoïste et solitaire qui finit, parfois, par devenir un acte public, mais distancié et distordu.
Pour le lecteur, le plaisir est bien là, même s'il n'est pas encore total, mais cela viendra.
Au final, « Réglez-lui son compte » est une appréciable ébauche de l'excellence de la série « San-Antonio », un premier épisode un brin timoré, mais déjà très agréable à lire bien que le personnage a des traits de caractères que je reproche souvent aux policiers de la littérature (le flic sans peur et sans reproche, qui gagne toujours et qui se tape toutes les gonzesses). Car, malgré ces poncifs du genre, Dard parvient à nous rendre son héros très sympathique, notamment en en faisant le narrateur à la gouaille certaine et possédant un certain recul et un second degré sur sa propre personne.
Rajoutons également que cet attachement de San-Antonio, pourtant homme mâture, pour sa mère, le rend encore plus touchant et sympathique.
« Réglez-lui son compte » est donc un épisode incontournable pour tout amateur des romans de « San-Antonio" et même pour les autres, un roman, dont l'écriture date de plus de soixante ans, et qui demeure pourtant très frais.