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Loto Édition
15 novembre 2020

L'assassinat des étoiles

CouvJT03

La littérature populaire est constellée de héros, de personnages récurrents dont on se souvient toujours plus que des enquêtes qui les ont mis en valeur.

Tout le monde connaît Sherlock Holmes… restons en France… tout le monde connaît Jules Maigret, San Antonio, Rouletabille, Arsène Lupin, Nestor Burma… mais qui, parmi cette foule immense, connaît ou se souvient parfaitement des aventures de ces personnages ? Ceux qui les ont lues, oui, peut-être, et encore…

Par contre, le personnage, telle une statue de bronze trônant sur sa stèle, devient indéboulonnable… Quand ce personnage entre dans l’inconscient collectif, alors, tout le monde le connaît même quand il ne l’a jamais rencontré dans une lecture.

Tout ça pour expliquer que, dans la littérature populaire (plus qu’ailleurs, à mon sens), le héros prévaut. Proposez un héros charismatique ou au charisme croissant avec le nombre d’aventures vécues, et ce personnage suffit alors à rendre un texte intéressant.

Tous les héros précités sont connus, du moins de noms et dans leurs grandes lignes, par tout le monde.

Mais, dans une moindre mesure, il existe des catégories inférieures, dont la célébrité ne dépasse par le nombre de quelques passionnés voire, même, de quelques hurluberlus (dont je suis).

Ainsi, je pourrais faire le même constat avec des personnages et des auteurs que, pour la plupart, vous ne connaissez pas, mais qui, dans mon esprit, naviguent dans la même sphère que leurs plus illustres collègues.

Vous me dites Rouletabille, je vous réponds Toto Fouinard.

Vous avancez Jules Maigret, je positionne mon Odilon Quentin (voire mon Jules Troufflard, peut-être… sûrement).

Vous ajoutez un Arsène Lupin, j’additionne un Théodore Rouma ou un Tancrède Ardant.

Vous complétez avec un San Antonio, je… rien du tout, je n’aurais aucun équivalent à vous proposer en échange.

Fantomas ? Le Grand maître !

Nestor Burma ? Lew Dolegan ! l’Agence Garnier ! L’Agence Walton ! Bill Disley !

Ainsi de suite…

Vous l’aurez donc compris, dans mon esprit (consciemment) et dans celui de l’inconscient collectif, un personnage charismatique est plus fort qu’une intrigue, qu’un style, qu’une histoire…

C’est une nouvelle fois le cas avec le commissaire Jules Troufflard, de la 2e Brigade Mobile (ou ancien de la 2e Brigade Mobile, cela dépend des récits).

En tout cas, c’est ce que semble indiquer les deux enquêtes que j’ai pu lire même si, on constatera que le personnage a quelque peu évolué avec le temps bien que le temps, lui, n’ait pas changé (voilà une phrase bien énigmatique que vous comprendrez en lisant la suite… ah, l’art du teasing… ou de l’aguichage si vous êtes totalement anglophobe).

« L’assassinat des étoiles » est l’un des trop rares enquêtes du commissaire Jules Troufflard (j’en ai dénombré 6, mais peut-être en existe-t-il plus) de Jean Buzancenais, alias Léo Sandrey, alias René Byzance, un auteur assez énigmatique de la littérature populaire auquel on doit la très bonne série fasciculaire de « Les enquêtes du Professeur » 15 fascicules de 16 pages publiés au sein de la collection « L’Indice » des Éditions Populaires Monégasques en 1946 et mettant en scène l’inspecteur Gonzague Gaveau, un intellectuel qui a fait Sorbonne.

On découvre Jules Troufflard dans « La troisième blessure » un fascicule de 32 pages datant de 1943 au sein de la très éphémère collection « Policia ».

« L’assassinat des étoiles » est un fascicule de 96 pages paru au début des années 1950, probablement (le fascicule n’est pas daté) dans la « Série Jaune » de la collection « Police Secours » des éditions Nicea (L.E.M.) dont une précédente édition existe avec une couverture rayée illustrée en couleur et sous un titre plus justifié de « L’assassinat des étoiles » datant probablement de 1943-1944.

L’ASSASSINAT DES ÉTOILES

Alléché par une affiche, le commissaire Jules TROUFFLARD décide d’assister à une représentation de « La Tosca » à l’Opéra du Puy.

Les actes s’enchaînent pour le plus grand plaisir des spectateurs jusqu’à la scène finale qui voit l’exécution de Mario Cavaradossi suivi du suicide de la Tosca.

Mais quand le rideau se ferme, l’acteur tenant le rôle de Mario ne se relève pas, son corps a été criblé de véritables projectiles…

On retrouve donc le commissaire Jules Troufflard qui n’est plus à la 2e Brigade Mobile, dont il a été évincé et qui se retrouve en poste au Puy. Là, il est devenu amateur d’Opéra, presque mélomane (alors qu’il ne connaissait rien à la musique et se contentait de siffler « Le Chœur des Soldats »). Il se rend à une représentation de « La Tosca », mais, à la scène de l’exécution de Mario Caravadossi, le comédien jouant le rôle ne se relève pas, il est réellement troué de balles…

Le commissaire Jules Troufflard a été banni pour ses méthodes et son caractère et envoyé au Puy-en-Velay. Il est toujours rustre, butor, s’accorde toujours avec le règlement et la morale, est toujours un personnage truculent amateur de bonne bouffe et de bons vins, emploie toujours sa méthode s’appuyant sur la connaissance de l’âme humaine, aime toujours brusquer, bousculer, ne supporte toujours pas les conventions et fait toujours fit de la hiérarchie. Heureusement, tout cela n’a pas changé en quelques années.

Par contre, le personnage ne semble pas avoir vieilli malgré les plus de 15 ans qui séparent cet épisode de l’histoire du tout premier titre (le fascicule de 1943 contre une aventure s’étant déroulée 15 ans auparavant), mais est, par contre, devenu mélomane alors qu’à l’époque il n’y connaissait rien en musique. De plus, et c’est là le plus étonnant, le voilà qu’il fume des cigarillos puant alors que dans « La troisième blessure » il dit :

« Je ne fume jamais. Je n’ai jamais compris que des êtres sensés puissent prendre plaisir à respirer une fumée nocive et malodorante. ».

Nous pardonnerons ce changement d’attitude à l’auteur qui n’avait pas dû relire ses anciens textes avant de réutiliser son personnage.

Pour le reste, on retrouve ici tout le sel de « La troisième blessure », mais également ses défauts.

Pour ses atouts : Jules Troufflard.

Pour ses défauts : une intrigue simpliste.

Mais bien qu’en disent certains et pour rester en accord avec ce que je disais au début de cette chronique, un personnage récurrent charismatique est plus important qu’une bonne intrigue.

Car il faut bien l’avouer que l’histoire de « L’assassinat des étoiles » n’a rien de transcendant. Si l’on peut deviner aisément le coupable et son mobile, d’autant plus que Jules Troufflard, en appuyant sur des détails, aide le lecteur en se sens, on retrouve également dans ce texte une ambiance et une critique sous-jacente que l’on avait déjà pu découvrir dans une autre prose de l’auteur, notamment dans un épisode du Professeur : « Je l’ai assassiné ».

Effectivement, en 1946, René Byzance (oui, je vais conserver ce pseudonyme, car c’est celui sous lequel j’ai découvert l’auteur) à travers cette enquête de Gonzague Gaveau, nous faisait une critique pas très très positive du monde du théâtre et nous dépeignait déjà des acteurs infatués naviguant dans un monde d’hypocrites et de jaloux, que ce soient les grandes vedettes ou assimilés aussi bien que les miséreux qui courent après les cachets.

Rien de nouveau, donc, de ce côté-là.

Pourtant, n’en demeure pas moins que ce récit, malgré quelques incohérences dans le comportement de Jules Troufflard (notamment par rapport aux récits précédents), cette critique un peu réchauffée des théâtreux (mais qui, finalement, doit être antérieur à celle de l’enquête du Professuer), et une intrigue simpliste, n’en demeure pas moins très agréable à lire grâce au savoir-faire de l’auteur et à un Jules Troufflard cabotin à souhait et charismatique au possible.

Quant au style, René Byzance s’adapte au format un peu plus long des enquêtes de Jules Troufflard et laisse plus place à son personnage qu’il ne le fit avec celles de Gonzague Gaveau où, à défaut de pouvoir charmer immédiatement avec un héros, faute d’avoir l’espace pour le développer, René Byzance s’accordait un peu plus de fantaisie dans sa plume. Cependant, le lecteur n’y perd pas au change, assurément.

Au final, cette enquête du commissaire Jules Troufflard est délectable grâce à Jules Troufflard, son caractère et sa méthode. À suivre… mais pas très longtemps, malheureusement, faute de combattants.

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